dimanche 30 septembre 2012

De la mortalité des personnages, ou pourquoi le héros doit savoir laisser sa place

Rah, quelle classe, je sens que je vais adorer ce persTCHACK
La cycle du Trône de Fer et la nouvelle série télé adaptée sont des succès qui marquent les lecteurs/spectateurs notamment (mais pas que) par la mortalité de leurs personnages principaux. Tout le monde peut y passer, même - ou plutôt surtout - les personnages que l'on a appris à aimer, qui sont au centre de l'intrigue, qui mènent le récit. Des persos qu'on croyaient voir installés dans un archétype meurent soudainement, et l'avenir des survivants est donc totalement incertain. J'ai pour ma part adhéré à cette façon de faire, pour son réalisme et le suspense que cela entretient au court du récit. On sait que l'on doit s'attendre à tout, et que rien n'est moins sûr que la survie des "héros". 

Je ne me suis posé la question que récemment, suite à l'entreprise sérieuse de l'écriture du tome 4 (devenu tomes 7 et 8). Beaucoup de personnages principaux étant morts entre temps, se posait le problème de savoir si le lecteur continuerait à suivre l'intrigue avec un casting plus ou moins drastiquement renouvelé, ne conservant que quelques vétérans traçant leur chemin malgré les pertes. Lorsque j'ai trituré le projet de tome 4, et ça a duré un moment, c'était l'un de mes défis majeurs. Je n'avais pas encore prêté attention au Trône de Fer et malgré de bons échos ce n'était pas encore l'énorme machine de guerre que "tout le monde à lu/vu, tout le monde adore", et je n'avais donc pas encore d'exemple concret où ce cas de figure parvenait à accrocher le lecteur. En règle général, le(s) héros est un fil conducteur, sans lui, beaucoup décrochent, même s'ils aiment l'univers. Même les récits à tendance réaliste attendent généralement la fin pour achever le héros, qui s'il meurt, n'abandonne pas ses camarades avant d'être sûr que "C'est dans la poche les gars (meurt l'âme en paix)". Le réalisme se borne souvent à ce que le ou les héros meurent, car oui, dans la vraie vie on meure, mais pas tout de suite, hein, faudrait pas que les autres persos aient à se débrouiller sans eux ! J'ai pour ma part subi ce schéma concernant certains personnages, sur trois tomes, même si beaucoup de personnages secondaires importants y passaient les uns après les autres. Mais pour écrire le tome 4, j'avais deux choix possibles :

-Modifier le tome 3 pour ne pas tuer certains de mes persos.

-Continuer sans eux.

Et l'idée de saborder le climax émotionnel du tome 3 me paraissait totalement idiot, c'est l'un des moments que je préfère de toute l'histoire. Restait donc : continuer sans eux. Une poignée du groupe d'origine survie, deux des personnages majeurs sur quatre ont survécu, une pelletée nous négligeable de persos secondaires importants sont morts. Oui, mais le sort des États Unis d'Europe n'est toujours pas réglé, et il faut bien que quelqu'un se charge de finir le travail laissé en plan (J'avais une fin très ouverte et, il faut l'avouer, sans trop d'espoir...). Et j'avoue, j'ai adoré choisir cette option. Pas juste pour être réaliste, pas vraiment pour le suspense non plus, comme celui que je ressens avec le Trône de Fer, mais pour une thématique qui me touche beaucoup : Quand les héros est mort, quand le chef n’est plus là pour prendre les décisions, qui prend sa place ? Comment les autres gèrent-ils cette soudaine absence de leader ? 

"Désolé, on m'a chargé de moderniser ta fonction..."
De fait, même si certains sont morts, ils sont toujours là. Leur présence se fait sentir à travers l'héritage qu'ils laissent derrière eux et cette question récurrente "Qu'auraient-ils fait ?". Certains vétérans se raccrochent à cette présence fantomatique et essayent de suivre la "voie" que feu leurs amis ont tracé avant eux, d'autres se refusent à vivre dans le passé et apprennent à faire leurs propres choix, arpenter leur propre chemin. C'est une thématique qui m'a séduit et encouragé à écrire un tome 4. Les héros sont morts ? Vivent les héros ! Quand les personnages principaux meurent, les personnages secondaires prennent leur place, étendent leurs ailes et prennent leur envol. Cela replace le principe du personnage principal en perspective, sans utiliser la technique des changements de points de vue par tome/chapitre/cycle. Des persos qu'on aura vu dans l'ombre d'un héros doivent soudain prendre le relais. Seront-ils "à la hauteur" ? Doivent d'ailleurs se poser la question ? Pourquoi le devraient-ils ? Doivent-ils seulement remplacer les disparus en calquant leurs méthodes et leurs philosophies ou, plus simplement, prendre les rennes de leur destin et tracer leur propre route, imposer un nouveau style ? Voilà qui me semblait intéressant dans le fait de tuer des personnages principaux avant la fin (bien avant, désormais...). Cela reste dans une logique réaliste - nul n'est immortel - mais surtout cela m'offre l'occasion de réfléchir sur le rôle du meneur à travers, paradoxalement, son absence.

mardi 25 septembre 2012

"Les Etats Unis d'Europe" de Charles Lemonnier, ou l'Europe de Kant

Ayant mis la main sur un ouvrage que je cherchais à acquérir depuis un moment, je me suis lancé préalablement dans la relecture d'un petit livre, presque un manifeste, à travers la bibliographie duquel j'en avais trouvé la référence. L'ouvrage récemment reçu s'intitule "Les États Unis d'Europe, un projet pacifiste", et s'intéresse au premier momentum fédéraliste qui a suivi la fin des guerres napoléoniennes et n'est mort qu'après la guerre de 1870. Et le petit livre qui m'a permis de le découvrir est emblématique de la rhétorique de cette époque. C'est de cela dont je vais vous parler aujourd'hui (brièvement, hein, le livre n'est pas long et je vous conseille vivement de le lire vous-même).

"Les États Unis d’Europe" de Charles Lemonnier, donc. Ce livre m'avait impressionné sur plusieurs plans, et sa petite taille n'a que renforcé la force de son contenu. A l'origine, Lemonnier écrivait dans la revue "Les États Unis d’Europe", l'organe bilingue (français et allemand) de la Ligue Internationale de la Paix et de la Liberté. Lorsque le journal fut interdit pour un temps après la défaite de 70, il ne cessa pourtant pas d'écrire et rédigea en conséquence un véritable manifeste qui prolongea l'esprit de la revue en attendant son retour. Le pacifiste y expose ses théories sur les précédents projets d'union européenne, les raisons de leur échec en pointant leurs faiblesses, et propose sa vision, son projet alternatif.

Son approche est très didactique, se servant de la chronologie historique comme fil conducteur pour inscrire le mouvement qu'il incarne, un saint-simonisme moderne, comme s'inscrivant dans la logique de son époque, moderne et résolument tourné vers la démocratie. Ce que reproche Lemonnier aux projets précédents, du Grand Dessein de Henri IV au projet de l'Abbé de Saint-Pierre, est principalement leur enracinement dans le système monarchique et dynastique. Ce qu'il propose est de se tourner vers une organisation politique moderne et c'est dans la République de Kant qu'il puise son inspiration. Kant est, selon lui, ce qui manque à la doctrine saint-simonienne pour être sûre de traverser avec succès les (r)évolutions sociétales qui s'annoncent. Le contexte de rédaction est celui de la révolution française tenue en échec par la Sainte Alliance, la république battue par les grandes dynasties des rois et empereurs européens. Face à ce qu'il considère comme une régression, il appelle donc à la formation des États Unis d'Europe fondés sur plusieurs principes importants :

- Les E.U.E. doivent être constitués de républiques parlementaires (seul système qui à son sens garantie l'égalité de tous les citoyens). C'est d'ailleurs une de ses conditions sine qua non à l'intégration de nouveaux États à l'union. Il considère que les monarchies parlementaires sont des instituions bancales et instables qui, si elles parvenaient à se maintenir pendant un temps, ne seraient que des transitions vers des systèmes de plus en plus démocratiques. L'homogénéité des systèmes politiques propres à chaque État Membre lui paraît essentiel, ou au moins l'homogénéité au niveau de leurs Constitutions, afin qu'elles n'entravent pas le bon fonctionnement de l'ensemble fédéral.
- Les E.U.E. doivent être soumis au suffrage universel. A noter des thématiques très modernes dans son discours comme comme la nécessité de donner le droit de vote aux femmes, notamment.
- Les E.U.E. doivent être séculiers. La séparation de l’Église et de l’État sont selon lui nécessaires au bon fonctionnement démocratique, ce qui n'est guère une surprise puisque son idée de la démocratie est baignée des idéaux de la révolution française et que son projet s'oppose clairement à l'ordre établi de la Sainte Alliance.
- Bien que penchant nettement du côté des socialistes, les E.U.E. de Lemonnier doivent défendre le droit à la propriété. C'est l'un des éléments qui a sans doute fait grincer des dents certains partisans qui, autrement, ont applaudi les discours de Victor Hugo devant le Parlement. Le droit de posséder s'inscrit lui aussi dans les racines révolutionnaires et se distingue clairement des alternatives socialistes puis communistes et anarchistes visant à instaurer un Ordre Nouveau (ironie) pour remplacer l'Ancien Ordre monarchique. J'insiste là-dessus car je trouve cette voie très intéressante dans une époque qui s'orientera de plus en plus vers une dichotomie perverse.

Son projet est un projet fédéraliste. Cela signifie que les États partagent une partie de leur souveraineté, sur le modèle des États Unis d'Amérique ou des Cantons Suisses (à l'époque, Lemonnier n'avait que peu d'autres exemples parlants à exposer). D'ailleurs, l'exemple américain lui permet de présenter un intéressant comparatif : les USA, sortant de leur guerre de sécession, ont commencé un processus de désarmement (démantelant notamment de nombreux cuirassés) et réduisent leur armée, injectant leurs ressources vers l'industrie et le commerce, pendant que l'Europe continue de s'entre-déchirer et d'engloutir des milliards dans des armées monstrueuses. Une seule armée européenne, destinée à la défense et au maintien de l'ordre, aurait l'intérêt de réduire considérablement les coûts et, du même coup, empêcher des guerres au niveau européen. L'idée de la Communauté Européenne de Défense n'est pas née d'hier.

L'exemple suisse est également très employé, et c'est très bien d'ailleurs. Notamment parce que, pour un lecteur d'aujourd'hui, le recul permet de constater à quel point cet exemple s'applique parfaitement à l'Europe. Il y souligne les différences très nettes entre les Cantons, tant au niveau des langues, des religions, et des tendances politiques, ainsi que la cohésion pourtant exemplaire de l'ensemble. Si Charles Lemonnier parle indifféremment de confédération et de fédération, l'exemple suisse montre le passage concret d'une confédération à un état d'intégration et de collaboration qui en font, de facto, une véritable fédération. L'état confédéral actuel de l'U.E. qui a définitivement trouvé ses limite peut-il y puiser l'inspiration pour sortir de sa crise tant économique qu'institutionnelle ? La rhétorique de Lemonnier exposant la nécessité de s'inspirer des Suisses pour sortir du bourbier dans lequel l'Europe s'enfonce suite aux estocades de Bismarck m'a fait sourire, car si la crise qui s'annonçait alors n'est pas la même qu'aujourd'hui, loin s'en faut, le discours reste étonnamment moderne. Notamment lorsqu'il évoque le poids de l'Europe à l'avenir, et la nécessité d'employer notre économie et notre industrie en commun pour non-seulement rester parmi les "grands", mais également pour pouvoir assister, en amis, les nations qui peinent à s'industrialiser. 

L'humanisme est clairement ce qui guide Lemonnier et le mouvement pacifiste qu'il incarne. Son manifeste appel à la paix et à la solidarité, au bon sens et surtout, au respect des peuples. L'adhésion aux E.U.E. doit être populaire, doit être votée par les peuples des États européens, tout comme doivent l'être les membres du Parlement qui les représentera. On pourra lui reprocher, peut-être, d'idéaliser la république révolutionnaire, mais il garde un esprit pratique et n'hésite pas à énumérer les différents - et conséquents - obstacles à la réalisations d'un tel projet, notamment les intérêts dynastiques et patriotiques (nous assistons, je le rappelle, à l'éveil du nationalisme). L'idée du besoin d'une institution garantissant le droit international est également un élément pilier du livre, et pose les fondations de ce qui deviendra la Société des Nations.

"Les États Unis d'Europe" est un petit ouvrage que je recommande à tous, tant il permet de cerner l'esprit des pacifistes de la fin du XIXème et leur attachement à ce projet fédéral européen que Victor Hugo a si éloquemment plaidé. Les notes des éditeurs (de l'époque et des Éditions Mancius pour la présente édition), sont particulièrement instructives ! J'y ai notemment découvert que l'expression même d’États Unis d'Europe, que je pensais "officialisée" par Hugo, fut déjà utilisée en 1848 par Carlo Cattaneo dans L'insurrezione di Milano ("Nous aurons la paix véritable quand nous aurons les États Unis d'Europe".) L'idée a plus de 150 ans ! Mais trêve de digression, je pense qu'il est temps pour moi de vous laisser tranquille et de retourner à mes lectures...

"Les États Unis d'Europe", Charles Lemonnier, éditions Manucius, par exemple sur amazon.fr

dimanche 2 septembre 2012

EuroFail : Quand la promotion de l'UE tourne au désastre

Je l'avais déjà évoqué à plusieurs reprises, l'Union Européenne n'est pas des plus douées lorsqu'il s'agit de se promouvoir auprès de ses citoyens, et pourtant ce n'est pas faute d'essayer (c'est peut-être ça le pire). Apparemment incapable d'apprendre de ses erreurs de communication, elle nous gratifie régulièrement de boulettes qui font la joie des eurosceptiques et provoquent quelques facepalms à ceux qui ne sont pas encore blasés. On m'a récemment montré une nouvelle vidéo sponsorisée par la Commission Européenne (qui devrait sincèrement abandonner toute velléité de promotion/pagande), et devant l'ampleur du désastre, comme le dirait l'ami Palpatine, je me devais d'évoquer le sujet de front. Mais tout d'abord, un résumé de l'épisode précédent.

Souvenez-vous, je vous évoquais le fameux drapeau "code-barre", et précisait que s'il n'a aucune valeur officielle quelconque, il a été utilisé par la présidence autrichienne de l'UE en 2006. Voilà l'objet du délit :


Et bien croyez-le ou non, mais il faut croire que certains sont très fiers de l'idée car l'UE récidive en 2010 pour la Journée de l'Europe :

Bien bien bien. Mignon tout plein avec son arbre, ses étoiles et son petit coeur, on en oublierait presque le code barre qui rappelle à qui l'aurait oublié que l'UE c'est avant tout du business.  L'Europe des citoyens qui se base sur une marchandisation de leurs pays respectifs, quelle classe ! Bravo l'UE pour cette démonstration de communication. Pour rappel, ces affiches sont inspirées de ce design :

Europe Ltd Corpoartion (c)
Mais le tour n'est pas terminé.On célèbre les 50 ans de l'UE ? Qu'à cela ne tienne, ouvrons un concours pour que les citoyens puissent s'exprimer ! Oui, grass-root tout ça, proche du peuple, ça va le faire... Et on choisit....... TADA !! :

Europe Corp (r), une marque déposée depuis 1957 !
Bref, après ces deux boulettes que j'avais déjà évoqué, viennent à présent les vidéos. Oui, parce qu'à l'âge d'internet, on fait comme tout le monde, on met des vidéos sur youtube. C'est jeune et branché, grass-root, proche du peuple, ça va le faire.... D'ailleurs, pour être encore plus super-cool, on va taper dans la culture populaire, histoire de cibler un public jeune et dynamique, en référençant un succès cinématographique récent. La Commission Européenne est alors fière de vous présenter son spot "Growing Together" (grandir ensemble) :


Et là, c'est le drame. Bon, la référence Tarantino passerait encore si on avait pas droit à Master Asia, Monsieur Capoeira et le Sérénissime Fakir dans le rôle de nos ennemis mortels qu'il faut calmer un grand coup dans un spot qui semble ressortir le slogan des 70' "Peace through superior firepower". Si j'ajoutais une rose des vents au centre du cercle étoilé j'aurais un excellent spot de propagande où il ne manquerait plus que "Engagez-vous dès maintenant dans le centre de recrutement de l'Eurocorps le plus proche". Accusée de racisme et autres incitations à la haine, cette vidéo fut donc officiellement retirée du circuit de promotion, mais le mal est fait... 

Heureusement, puisqu'on est accusé d'être plein de préjugés et de clichés, il nous suffit de faire une AUTRE vidéo qui COMBAT la discrimination ! Bon, on va éviter le racisme, la plaie est encore fraîche, déployons tout notre politiquement correct pour défendre l'égalité des sexes ! Notre prochain blockbuster s'appelle "Science : It's a girl thing" !


Et là, c'est le drame. La Commission Européenne a visiblement du mal à faire la différence entre combattre un cliché et entretenir un cliché. On pourrait d'ailleurs s'amuser à compter combien ils en ont bourré en une minute de spot, mais ce serait mesquin. Sachez donc seulement que la science, c'est un truc de fille !

Mais histoire de ne pas avoir l'air de tirer sur l'ambulance, je tiens à partager le seul spot de promo de l'UE qui jusqu'ici m'a semblé vraiment bien foutu, utilisant des clichés correctement (contrairement à la précédente), et dont le message n'est pas aussi nauséabond que la première (alors qu'il s'agit de la même campagne promouvant l'élargissement de l'UE, ici aux Balkans). Le spot s'appelle "Hidden Treasures of Europe" (Trésors cachés de l'Europe) :


Tu vois, quand tu veux !