jeudi 21 juin 2012

Des dix ans de Pax Europæ, ou de l'amour masochiste

21 juin 2002.

La journée est longue, je m'ennuie. Le collège c'est fini et je commence bientôt le lycée, sans vraiment être plus excité que cela. Une étape de plus, finalement, pas de grand changement à l'horizon. Cet été là je commence à rédiger ma nouvelle "Carnet de Guerre", pour passer le temps et animer mon forum favori. Je n'ai alors pas d'autre prétention que de faire une petite saga de l'été - c'est dire si l'ennui guette vraiment.

21 juin 2012.

La journée sera longue, mais je ne risque pas de m'ennuyer . Je suis en vacance chez un ami. Ma présence en France ne durera plus très longtemps, dans deux semaines je serai de retour en Finlande. Rapport de stage et travaux d'été m'attendront, puis la rentrée universitaire et tout le bataclan administratif parce qu'il me faudra changer d'appartement - encore. Entre temps, d'un point de vue personnel, mon orientation a beaucoup changé, je suis passé d'études en Histoire à la socionomie et me prépare à devenir travailleur social. J'ai déménagé à l'autre bout de l'Europe et commence à peine à bien vivoter dans ce nouvel environnement. Là, niveau changement, j'ai rattrapé la chose. Non, je ne m'ennuie plus.

Mais si en dix ans je suis passé du cursus Abibac pour étudier l'Histoire en Allemagne - projet avorté - à un étudiant dans le social en Finlande, il est un fil rouge qui ne m'a pas lâché, et c'est cette petite nouvelle. Bon, avant de laisser ricaner les esprits moqueurs, c'est vrai, cette nouvelle n'en était plus une (le message personnel est passé). C'est devenu un univers complexe et une galerie de personnages auxquels je me suis attaché ; un peu trop peut-être ? Car la fierté que j'éprouve devant le travail accompli, j'en parlais déjà dans l'article du 21 juin 2011. Ce que j'aimerai écrire aujourd'hui, pour les dix ans de ce texte, c'est un petit bilan d'auteur. Car si d'autres auteurs amateurs passent par là et lisent ceci par les hasards de google, peut-être apprécieront-ils mes quelques réflexions sur la chose... Car ici, point de rétrospectives post-publication. non, je suis comme 95% des auteurs français amateurs : J'ai peu de chance de percer un jour.

Quelque part, je suis très peuple.

Car non, dix ans après, je ne suis pas publié. Je ne peux pas faire le coup du "j'ai galéré mais maintenant ça a marché alors accrochez-vous comme moi et c'est dans la poche". D'autres peuvent, et font. Mais ne nous leurrons pas, ils sont rares. En ce qui me concerne, on reste dans le schéma classique des efforts (encore ?) infructueux, des multiples réécritures, des révisions, et améliorations diverses, suite à des commentaires, des allusions, des retours, des conférences, que sais-je encore ! Dix ans de confiance renouvelée en mes capacités de conteur d'histoire et de doutes profonds concernant un hypothétique talent, de coups de déprime, de page blanche et d'euphories passagères. Dix ans d'efforts malgré les conseils du genre "tu as essayé de passer à autre chose ?" et grâce aux encouragements. J'avoue que je regrette parfois de n'avoir pas écouté les conseils et n'être pas passé à autre chose, mais croyez-moi, j'ai essayé. C'est con comme l'amour, quand on écrit, une fois qu'on est dedans, on a beau traverser des moments peu glorieux et douloureux pour l'estime de soi, quelque part on ne peut pas s'en empêcher. On en viendrait presque à avouer à ses amis, un peu honteux mais avec une touchante sincérité :

"Mon texte me bat, mais je l'aime".

Consternation dans l'assistance. "Quel salaud ! Change de texte, c'est pas ça qui manque !" répond toujours l'ami de bon conseil, celui qui partage les scènes de confidence dans Confessions Intimes, et sans script, on vous le jure. "Tu as essayé d'en parler à un éditeur ?" osent même les plus diplomates qui ne veulent pas donner l'impression de s’immiscer dans vos histoires de cœur. Et vous, auteur amateur, de hocher piteusement la tête à tous ces bons conseils, avant de retourner ramper sans aucun respect pour vous-même devant votre clavier ou vos notes en bredouillant un "pardon" humiliant à votre univers. Ah, c'est sûr, écrire en dilettante n'est pas toujours un amour bilatéral. L'impression d'avoir perdu dix ans de votre vie sans pouvoir crier "je retourne chez mes parents", ou même les sorties en société où les autres participants critiquent ouvertement l'accoutrement sans grand goût de votre bien-aimé auquel vous donniez pourtant fièrement le bras. Votre texte est trop long, il est trop politique, il est trop militaire, il n'est pas romanesque, ou encore il ne correspond pas à notre ligne éditoriale. Vous savez, quand le videur de la maison d'édition - stagiaire entre deux cafés ou employé à plein temps, vous ne pouvez en avoir la certitude - regarde les baskets de votre manuscrit et lui lance avec mépris "toi, tu rentres pas".

Cette relation tumultueuse vous pousse également à cacher les bleus qu'elle laisse sur votre égo. Vous mettez des lunettes de soleil, en prétendant que tout va bien entre vous, merci de demander. "Tu écris toujours ton texte, là ?" demandent certains avec une pointe d'inquiétude mêlée de pitié. Et vous, en remettant une mèche de cheveux sur votre coquard : "Oui, oui, ça va mieux en ce moment, j'ai retravaillé le tome 1 et j'en suis très content". "Ah", déplore presque votre interlocuteur, "bah, bonne chance alors !" (Vous l'avez déjà entendu, le "bonne chance", hein? ).

Comme dans tout couple, les proches finissent par mettre les pieds dans le plat et poser la question qui fâche. "Ton texte refuse de s'engager dans l’édition, c'est pas sérieux." "Mais tu sais bien que c'est pas sa faute, il n'est pas encore prêt pour ça. Ils le laissent pas rentrer". "Bah t'as essayé de le faire relooker par un dessinateur de BD ? Parce qu'il a un bon fond, hein, je dis pas, mais avec une tenue pareille il réussira jamais dans la vie, hein, c'est moi qui te le dis !" Et vous n'avez pas le cœur de répondre que c'est vous qui l'avez habillé, le pauvre... Le texte a un bon fond, mais il est mal raconté. Ce défaut que tout le monde voit autour de vous, mais que vous refusez d'admettre parce que vous l'aimez. Et c'est dans ce moment là qu'on se rend compte que certes, les éditeurs le trouvent laid, certains de vos proches critiquent son style et il n'en fout pas une taule pour remplir le frigo, se contentant de rester dans l'ordinateur ad vitam et traîner sur le web. Mais vous l'aimez. C'est votre texte.

A ce stade, la relation est quasiment masochiste, me direz-vous. Et bien oui, pour être franc. Oui, c'est une relation cruelle, et rien ne garantit jamais que l'histoire se finira bien. La rupture n'est jamais loin, les engueulades et les réconciliations se succèdent, les reproches fusent parfois - "T'es vraiment mal écris !" "A qui la faute ?" - et l'entourage paye les pots cassés lors de vos longues lamentations : "Nan mais de toute façon c'est fini là, il me gonfle, je crois qu'on va arrêter les frais. On a eu du bon temps mais là on se prend la tête et ça ne va nulle part. Je vais rompre." et tout ça bien sûr pour revenir à la charge deux mois plus tard "il m'a offert de l'inspiration, tu trouves pas qu'il a fait des efforts ?". Bref, les hauts et les bas d'une vraie histoire d'amour. Et comme toutes les histoires d'amour, la mienne avec Pax Europæ ne se finira sans doute pas par un mariage heureux et pleins de petits enfants - nouvelles et novellas gambadant gaiment dans les webzines(1) ou, pour les plus douées, en librairies - mais par un au-revoir courtois quand le dernier mot aura été écris. 

Lorsque j'aurais achevé le tome 8, on se fera un dernier apéro avant qu'il ne me rende les clefs de l'inspiration qu'on louait en commun, et on se quittera d'un commun accord sans dispute et sans haine. De temps en temps on se recroisera par hasard lorsque je fouillerai mes archives, on se fera la bise et on se rappellera le bon vieux temps, comme avec mon premier amour, cette fan-fic Jurassic Park avec qui j'étais quelques années (je l'ai revu récemment, elle a pris un sacré coup de vieux, la pauvre !). En tout cas, tel est mon plan pour le moment. L'inspiration semblera alors bien vide et déprimante, il me faudra peut-être la quitter pendant un temps pour oublier cette histoire si longue. Déménager. Peut-être rencontrerai-je rapidement un nouveau texte, un nouvel univers ? Ou peut-être resterai-je célibataire pendant un temps... Qui sait ?

Restera la nostalgie et comme toujours les souvenirs des bons moments supplanteront les mauvais. La rencontre fortuite un beau jour de solstice d'été, nos projets d'avenir pleins de rêves et d'ambitions, les fou-rires devant les fautes, lors des relectures (La fameuse Furie couchée sur le flan, ahem...), les moments d'émotions en ouvrant les faire-part des maisons d'éditions... Ah, on en aura passé du bon temps ! Les interminables impressions dans les cyber-cafés ou les copy-shop, les envois qui amputaient drastiquement  nos économies, nos voyages en Grèce et en Finlande qui ont radicalement changé notre vision des choses et de notre relation. Je lui serai aussi reconnaissant de m'avoir présenté son ami Arnaud qui est devenu, du coup, un ami commun puis mon ami, sans que mon texte n'ait plus rien à y voir. (En espérant qu'Arnaud ne choisira pas de se mettre de son côté et de ne plus me parler, certaines personnes sont toujours embarrassées dans ce genre de situation, vous savez). Et du coup, avec la nostalgie, l'envie de se rappeler, de se revoir... On ne sait jamais comment ça évolue, ces choses là... 

De toute façon, il en a été comme ça depuis dix ans, je ne vois pas de raison que ça change !


Bon anniversaire, Pax Europæ.




Eeeeet.....

Hoch soll er leben ! Hoch soll er leben ! Drei - mal - hoch ! Hoch ! Hoch ! Hoch!




(1) : Sachant qu'une de mes nouvelles Pax EU vient d'être publiée sur Other World's Sciences ! Si vous voulez en savoir plus sur le développement du Kalanium et la révolution technologique européenne qui voulait amener l'Homme sur Mars et le conduira... ailleurs ^^ OWS, un projet du Collectif Hydrae, bien entendu !

mardi 5 juin 2012

De la création d'univers, ou de la contrainte

En ce moment je suis dans une grosse phase de réflexion concernant Pax Europae après un évènement assez rare dans la vie d'un auteur amateur : Des retours d'éditeurs construits et argumentés. Oui, c'est assez rare, notamment parce que la lecture et la concertation sur les manuscrits leur prend déjà un temps fou, et qu'il faut s'occuper des livres retenus dans le même temps. Et dans un genre comme le mien - l'imaginaire en général - on parle souvent de petites/moyennes structures qui font ce qu'elles peuvent pour traiter les piles à lire qui n'en finissent pas (les nombreuses maisons qui gèlent leurs appels à manuscrits sont symptomatiques de cet engorgement profond). Mais après plusieurs années de réponses habituelles ("Malgré les qualités évidentes de votre texte (...) non.") j'ai eu deux retours développés, très courtois et constructifs. Auteurs débutants, comme moi, si vous en avez soupé des lettres types, persévérez ! Ça vaut le coup !

Le futur livre de chevets de mes persos.
Mais revenons à ces retours. Je n'irai pas dans le détail ici, et en fait le problème majeur qui fut relevé, je n'y reviendrai pas non plus en profondeur (pas encore) sur le blog, il faut d'abord que je le digère trouve un bon angle d'attaque pour le corriger. Disons pour faire bref que je souffre de ce que je reprochais au style de l'auteur d'Endwar, voilà voilà ^^ Juste retour des choses, je suppose !

Non, l'objet de cet article est une remarque qui m'a particulièrement intrigué, m'a fait longuement réfléchir, et au final, m'a décidé à exprimer ouvertement mon questionnement car d'autres auteurs amateurs pourraient être confrontés au même problème. Cette remarque, la voici, reformulée par praticité :

"Votre univers n'est-il pas devenu une contrainte qui limite l'histoire de vos personnages ?".

A première vue, en remontant à la genèse de mes textes, la réponse devrait être clairement "non". L'univers n'a été étendu et développé que parce que mes personnages évoluaient et se complexifiaient, m'obligeant à faire de même avec le background. Pour 50 pages, j'avais pas besoin de décrire les E.U.E. en profondeur. Passé 100/150 pages, fallait bien creuser un peu. Et l'univers n'a cessé de s'enrichir à mesure que mes personnages exploraient l'Europe dans leurs pérégrinations. A chaud, donc, bien sûr que non, mon univers n'est pas une contrainte ! Au contraire ! En plus, des choses établies ont déjà été changées (plusieurs fois pour certaines, d'ailleurs) pour mieux coller à ce que je voulais faire faire à mes personnages.

Mais penchons-nous tout de même sur la question, car si le comité de lecture a eu cette impression, il n'y a pas de fumée sans feu. On m'a demandé si j'avais développé l'univers dans d'autres textes ou supports, et j'ai répondu que oui, il y avait des nouvelles annexes, et un jeu de rôle en élaboration. La réaction ne s’est pas faite attendre "Ah ! Et bien voilà !". Ce regard, cette intonation, le signe qui ne trompe pas : Ils connaissent bien ce syndrome, apparemment. L'univers semble donc prendre le pas sur les personnages, fades et quelconques, et lorsque la lecture est achevée, on se souvient de la "structure" mais pas de "l'histoire". Mon tome 1 n'est pas romanesque, parce que mes personnages sont plats et l'univers trop grand.

Une fois le choc passé ("Indigeste" le texte, quand même....), je réfléchis. Laissons de côté le problème des personnages insipides pour nous focaliser sur l'impression embarrassante de voir une sorte d'étalage d'univers qui écrase l'histoire romanesque. Il semble donc évident que l'exposition du background et l'importance de celui-ci sont trop lourdes, et le développement parallèle paraît également être un facteur "connu" dans ce genre de défaut. La question se pose donc : Le développement de l'univers Pax Europae à travers les nouvelles, les tomes indépendants et le JDR ont-ils nui, finalement, aux textes centraux (l'actuelle octalogie) qui sont le coeur de l'univers ? En d'autres termes, le développement de l'univers a-t-il nui à son exposition, et donc à lui-même ?

Vous avez deux heures.

A l'époque on les réclamait encore... ^^
Il est un fait que lors de ma grosse réécriture (en Grèce en 2010 suite à ma réécriture d'Europae et en Finlande en 2011 suite au découpage de la tétralogie en octalogie) a été fortement marquée par une "harmonisation" du BG. La relecture avait mis en lumière de petites incohérences ou anachronismes in-univers, des éléments qui collaient avec une vision plus minimaliste du monde de Pax EU se heurtant aux développements plus complexes de mes travaux récents. Marquée par des clarifications, également, dans les hiérarchies, les pays, la technologie, bref, marquée par une crédibilisation de l'ensemble. J'ai retconné 10 ans de réécritures, relectures et révisions successives, rarement intégrales et donc inégales, tout en intégrant des idées creusées pour le JDR et qui me semblaient trop intéressantes pour ne pas être ajoutées dans les textes - toujours dans l'optique de servir les questionnements moraux de mes persos ou complexifier les possibles. En principe, cela part d'un bon sentiment, il faut corriger des points trop vagues car écris à une époque où ces éléments étaient encore flous (et inutiles) parce que dans trois tomes, ils deviendront très importants. En fait, cette harmonisation était impérative. Trop de temps séparait la mise en place de l'intrigue basique il y a 10/8 ans et mes notes pour conclure le tome 8.

Seulement voilà, cette médaille a-t-elle eu un revers handicapant, celui de me pousser à être trop précis, trop pointu, trop lourd ? En voulant être cohérent dans la longueur, n'ai-je pas poussé l'exposition de l'univers trop loin ?

Il semble que oui. Le piège vicieux s'est peut-être refermé sur ma réécriture : En voulant poser les bases j'ai peut-être donné l'impression d'avoir bourré le tome 1, car il ne faut pas oublier que en tant qu'auteur, je sais tout ce qui vient après, je sais à quoi servent tout ces détails et cette exposition. L'éditeur - et par extension le lecteur potentiel - lui, ne le sait pas. Je me suis focalisé sur l'univers et sa cohérence, au risque d'oublier que le lecteur pourrait se sentir submergé sans raison. L'envie d'afficher un monde cohérent coûte que coût pourrait donc être considéré comme une contrainte, même si en l'occurence elle n'influence pas ce qui arrive aux personnages mais la façon dont je le présente. Et la réponse à cette question pourrait donc être "oui", finalement. Et il va falloir que je travaille là-dessus très sérieusement.

"Où nous en sommes précisément" dans les E.U.E., c'est peut-être trop précis...

Quant au problème de style et de mes personnages fades, c'est encore une autre histoire ! (Ouais je sais, sortez les fouets et les pelles et fouettez-mouaaaaaa !)

PS : Cela dit, et malgré de gros gros points noirs, il y a aussi eu pas mal de choses encourageantes et le simple fait d'avoir eu deux retours me fait excessivement plaisir ! Donc non, je ne suis pas en mode "jsuisunegrossemerde", mais plutôt "ahbahputainyaduboulot"  ^^