lundi 21 mai 2012

Endwar, ou du temps que je vais gagner

Oui, c'était le dernier bouquin sur ma liste des fictions d'anticipation traitant ou incluant une Europe Unie ou Fédérale. Je l'ai acheté pour une bouchée de pain, et je l'avais gardé pour la fin, parce qu'entre lui et moi, c'était presque personnel. Finalement, contre toute attente, je vais probablement pas le lire. Lui ? C'est bien sûr "Tom Clancy's Endwar".

Ah, j'en entends qui ricanent à la mention de "Tom Clancy's ...". Et ils ont bien raison. Avant d'aller plus en détail sur le pourquoi je ne compte plus le lire (ou pas avant un long moment) et pourquoi c'était pourtant si important pour moi, je souhaite dire deux mots sur les licences Tom Clancy pour ceux qui ne sont pas familier du monsieur. Tom Clancy a écris de super bons bouquins, parait-il, en tout cas j'ai adoré A la Poursuite d’Octobre Rouge. Sa spécialité c’est la géopolitique et le matos. Oh, il aime le matos. Il va vous décrire dans le moindre détail, jusqu'au moindre boulon, comment fonctionne tel type d'hélicoptère afin d'expliquer avec la précision d'un horloger comment un accident technique va le plonger dans l'océan et tuer un messager dont TOUT LE MONDE SE FOUT, non, vraiment, tout le monde. Et pareil pour les armes, les jumelles, les satellites, etc. etc.. Dois-je préciser que c'est d'une lourdeur abominable et que ça casse toute tentative de rythme ? En dehors de ça, ses histoires sont cool. Seulement voilà, le temps passant et l'argent entrant, il fait comme beaucoup, il créé des licences dont il se contente d'esquisser les scénarios et empoche le blé. Les bouquins sont écris par d'autres qui ont à peine le droit de voir leur nom sur la couverture après moult "Tom Clancy". A un point qui frôle le ridicule, jugez plutôt :

Jetez un bref coup d’œil et dites-moi qui semble être l'auteur de ce roman.
Rien que sur la couverture, on a trois fois le nom "Tom Clancy", y compris dans les caractères les plus gros. Plus gros, même, que le titre du bouquin ! En regardant bien, on se rend compte qu'on lit "Tom Clancy's Tom Clancy's Endwar". WTF ?? La tranche est encore plus insidieuse, le nom de l'auteur réel, David Michaels, apparaît en petit quand Clancy a droit à une fois son nom en énorme (un tiers de la tranche) et encore une fois à la même taille que l'auteur. Quant au dos :

Un blogueur anglophone a pris cette photo parce qu'il était choqué que le jeu soit qualifié de best-seller sur la couv alors que, à la sortie du livre, le jeu n'était pas encore en vente. On se marre déjà, hein ? (surtout quand on sait que le jeu a fait un four, niaha) Mais rien qu'en prenant cette petite photo, on a droit à encore deux fois le nom Clancy ! David Michaels, lui, n'a même pas droit de figurer au dos.

Reprenons : Clancy voit son nom trois fois sur la couverture, deux fois sur la tranche et deux fois au dos, pour un total de 7 fois, quand l'auteur réel est mentionné... deux fois.

Bon, voilà, je crois qu'on a compris ou je voulais en venir. Maintenant que j'ai bavé sur la licence Clancy, passons aux raisons qui me poussaient à vouloir le lire, et celles qui m'en découragent.

Endwar... une troisième guerre mondiale en Europe engageant une Fédération Européenne dotée d'une seule armée contre la Russie dans un conflit futuriste, nouvelles technologies mais pas trop, combats urbains, tactique, pseudo-nukes - mais pas nukes ! - bref, quand j'ai vu la bande-annonce du jeu aux graphismes superbes (à l'époque ça claquait), j'ai eu peur, je l'avoue. J'étais persuadé que tout le monde allait adorer et me dire par la suite, en jetant un œil perplexe à Pax EU "Mais t'aurais pas un peu pompé sur Endwar ?". J'avais peur que mes textes aient soudain l'air de bêtes fan-fictions ou pire, de plagiat mal déguisé. Et puis les designs étaient cool, et puis et puis et puis..... Ce fut le drame, pendant quelques mois, je m'imaginais d'interminables "mais j'avais écris ça avant !" et les inévitables "mais oui, mais oui".

Et puis non. Le jeu fut un échec, la licence papier a fait un four, elle aussi (deux romans publiés en tout et pour tout, on est loin des Splinter Cell, OP Center ou Net Force...). En fait, aujourd'hui, presque tout le monde a oublié Endwar. Mais lorsque j'en suis venu à dresser une liste des fictions traitant d'une Europe Fédérale, mon vieux démon a resurgi. Enfin, le livre est arrivé et là, j'ai compris que je n'avais aucun regret à avoir : Le jeu a beau se dérouler en Europe et aux US, le livre se moque de la Fédération Européenne. Complètement.

L'intrigue n'a pratiquement pas besoin d'elle et un simple regard à la table des personnages donne tout de suite le ton. Nombre de personnages américains : 39. Nombre de personnages russes : 10. Nombres de personnages européens :... 3 ? La Fédération Européenne, je ne sais pas ce qu'il en est dans le jeu, mais ce roman semble l'éviter. J'ai donc cherché des résumés pour éviter de perdre mon temps et oui, on nous promet une confrontation FE vs US, mais tout se passe côté US et la confrontation est évitée de justesse, c'était un complot russe, haha, quelles canailles ces russkoffs, et au final on est de nouveau potes. Mais ça se passe aux US / Canada, et on se fout de l'Europe comme de l'an 40.

J'ai quand même tenté le coup, sait-on jamais, mais je me suis alors heurté au style. Désolé, monsieur Michaels, mais vous êtes indigeste. Il veut faire du Clancy - qui est déjà assez pesant par moment - mais il ne parvient qu'à être lourdingue et sans saveur. J'ai lu quoi, une trentaine de pages, et je me fais déjà chier comme un rat mort.

Résumons donc : Aucun intérêt scénaristique ou thématique, un style imbuvable... Pourquoi me donner la peine de m'infliger Endwar ? La présence d'une Fédération Européenne n'est qu'un prétexte pour avoir un troisième camp jouable dans le jeu vidéo et n'apporte rien à une possible réflexion ou un point de vue européen du conflit (s'il avait développé une galerie de persos de la Fédération, j'aurais persévéré, mais là quoi, trois personnages en tout et pour tout ?) J'ai donc décidé de laisser tomber, tout simplement. Endwar, cette anticipation qui m'avait tant "menacé" dans mon projet, s'avère finalement un pétard mouillé. Toutefois, je tiens quand même à remercier le jeu qui aura apporté avec lui quelques artworks bien sympathiques qui me feront toujours plaisir, même si l'histoire elle-même n'a rien à m'offrir.

Soldats de l'Enforcer Corps, l'armée européenne dans Endwar.

Paris s'en prend plein la gueule.
Si je pouvais avoir des illustrations comme ça... *rêve* Notons le drapeau européen flottant au vent derrière le blindé, ce genre de mise en scène est assez rare et colle tout à fait à l'esprit Pax EU.

jeudi 17 mai 2012

Des Quatre Saisons de la narration, ou pourquoi Pax Europæ n’a pas d’été ?


Quand on écrit une histoire, il y a naturellement des tas et des tas d’approches différentes quant à la narration, et je ne parle pas ici du point de vue. Je vois les événements et les contextes de l’histoire racontée comme une succession de saisons qui se répète et se perpétue comme le cycle annuel, et j’imagine que je ne suis pas le seul. Après, chaque auteur choisit la saison dans laquelle il souhaite commencer, quelle(s) saison(s) accueilleront l’évolution de l’intrigue et quelle saison en verra le dénouement. Ce choix en dit souvent long sur la mentalité de l’auteur, sur ce qu’il veut exprimer et sa façon d’appréhender son histoire ou son univers.

Un exemple plan-plan avant de placer Pax Europæ dans ce contexte saisonnier est le classique procédé du Rise & Fall. Dans ce cas-là, on commence au printemps, quand la situation n’est pas radieuse mais tend à s’améliorer, les personnages prennent de l’assurance, enchaînent les succès, pour arriver à l’été, le climax, le point culminant, l’âge d’or, bref, Epic Win. Malheureusement, l’automne ne tarde pas à poindre le bout de son nez, de nouvelles difficultés entravent le bonheur et la réussite de nos persos, et cette descente aux enfers où les arbres se meurent et le froid souffle sur leur vie les conduis au drama final, l’hiver de retour, et souvent, il faut le dire, la mort. Il arrive même d’avoir quelques indices sur le prochain printemps qui, fatalement, finira par arriver, l’ouverture sur l’espoir tout ça, mais c’est facultatif. Tout dépend du message de l’histoire.


Mais ce plan-plan janvier-décembre n’est pas une fatalité, loin de là. Et c’est ce que j’apprécie dans les approches des auteurs. Certains choix sont plus parlants que les textes eux-mêmes (ça marche naturellement aussi pour les autres supports narratifs). Par exemple, commencer en automne ou en hiver quand on veut démarrer dans la mouise – Un Nouvel Espoir/ L’Empire Contre-Attaque – et finir plutôt au printemps – l’espoir arrive mais rien n’est encore acquis – ou en été, le super happy-end, le Retour du Jedi. Commencer en été plutôt qu’au printemps quand le Rise de départ, on s’en moque, et que l’heure de gloire n’est qu’un point de départ pour montrer le Fall, le processus destruction et de renouveau . On est donc cette fois dans le « Glory & Fall » (& Rise Again ?), la logique de la Prélogie, pour continuer dans le même univers. Certains auteurs choisiront de traiter plusieurs années et donc décriront de multiples étés et de multiples hivers. Tous ces choix dénotent de choix narratifs qui ne sont pas ceux du style d’écriture ou du point de vue, mais sont également important. Il est d’ailleurs intéressant en tant qu’auteur de se poser soi-même la question « pourquoi avoir traité mon histoire dans cet ordre de saisons ? ». Je me le suis demandé car lorsque j’ai commencé Pax Europæ, je n’y avais pas vraiment réfléchis.


Bon évidemment, encore faut-il définir été, hiver, automne, printemps... Question de point de vue ^^
L’octalogie centrale de Pax Europæ, Carnet de Guerre, commence en automne. L’été est déjà passé, l’âge d’or des États Unis d’Europe est derrière eux, et la société européenne commence sérieusement à se décomposer. La guerre va plonger la fédération dans un hiver tenace – un hiver nucléaire – qui la mènera, au final, à un printemps annonciateur de renouveau et d’espoir pour l’Europe et le monde. L’été est absent.

Pourquoi l’été est-il absent ? Est-ce que j’ai un problème avec les grosses chaleurs, les textes positifs et les happy-end ou happy-start ? Euh… en fait oui. Mais je ne pense pas que ce soit la véritable raison. L’été initial je n’en ai pas besoin, il est évoqué comme un paradis perdu et devient rapidement l’objectif des personnages principaux. Retrouver la splendeur originelle, l’esprit humaniste et libre des E.U.E. des premiers jours est définitivement l’enjeu des textes, et en tant que tel ce souvenir doit rester diffus dans l’octalogie. Même la préquelle Europæ n’est finalement qu’un hiver-printemps, on finit sur un grand espoir, l’été commence tout juste après le point final. Mais on ne le voit pas, le tome 1 de Carnet de Guerre reprend les choses en automne. L'Âge d’Or reste de l’ordre de la légende urbaine, même s’il est palpable avant et après. Quant à l’été final, je ne souhaite pas le montrer pour la simple et bonne raison qu’assurer du succès indubitable de la quête des persos principaux serait oublier que le bonheur qu’ils ont cherché à atteindre ne se défend qu’au prix d’un combat perpétuel – fût-il métaphorique. La liberté et la paix ne sont jamais dues, et ils ont appris cette leçon au cours des huit derniers tomes après que l’Europe se soit reposée sur ses lauriers fédéraux. Le final doit donc contenir de l’espoir, mais pas abolir l’incertitude que le futur portera toujours en son sein (raison pour laquelle la scène finale de Terminator 2 Version Longue saborde complètement le film, nous montrant que le Jugement Dernier a été évité et que tout ira pour le mieux à jamais en empêchant un seul désastre possible, quand la morale du film était : Pas de destin mais ce que nous faisons. Le final classique du film avec la route qui défile dans le noir sans que l’on ne puisse voir où nos héros vont est vraiment beaucoup, beaucoup mieux).

Ce qui m’a également frappé en me posant la question fut à quel point le temps décris dans les textes a fini par exprimer cette structure saisonnière, ou soleil, pluie et neige, en étant utilisés initialement à d’autres fins subliminales, ont globalement suivi ce schéma malgré-moi (notamment dans les tomes 7 et 8 et la préquelle) et renforcé cette impression. Même si la météo est déjà est déjà bien merdique dans les deux premiers tomes, cela ne cesse d’empirer, suivant les lieux que mes personnages visitent, avec inondations, tempêtes, neige, etc. Le renouveau des deux derniers tomes coïncide avec de multiples nouvelles locations géographiques beaucoup plus ensoleillées, justifiant le retour du soleil et de la lumière – avec la menace perpétuelle de la prolongation d’un hiver aussi concret que métaphorique.

Pax Europæ est donc dans le Fall & Rise, sans la période de gloire initiale ni celle qu’on espère avoir atteinte, qui se concentre sur un automne rude et un hiver difficile qui bouleverse suffisamment les choses pour permettre d’accueillir un printemps avec enthousiasme, même si au final rien n’est gagné. C’est un choix inconscient, et il en vaut d’autres, n’importe quel saison de départ et d’arrivée est possible, les combinaisons nombreuses…

Et vous, auteurs qui passez peut-être par ce blog, y réfléchissez-vous quand vous vous lancez dans un récit ? Avez-vous une préférence pour une saison particulière ?

samedi 12 mai 2012

Incompetence, de Rob Grant, ou le roman qui cache bien son jeu


L’arlésienne des lectures promises sur les fictions traitant de près ou de loin d’Europe fédérale, la livre qui traîne sur mon tapis Ikéa depuis décembre et dont j’ai repoussé la lecture encore et encore pour X raisons. Et voici que je me suis lancé, un peu sceptique après ma déception Bordagesque, dans une véritable lecture du roman de Rob Grant. Le début de l’histoire laissait penser que, tout comme l’Ange de l’Abîme, la fédération de l’Europe ne serait qu’un artifice assez inutile, trop peu exploité, et au final sans importance. Et, ô surprise, c’est presque le cas… sans l’être tout à fait. Et il y a même un gros twist auquel je ne m’attendais absolument pas, non pas un twist de l’intrigue, mais de l’auteur. J’ai été surpris, et dans mes lectures orientée « futur de l’Europe », ce n’est pas arrivé souvent !

Bon, avant toute chose, comme le merdique The Aachen Memorandum de Andrew Roberts ou le pas mal United States of Europe de Ken Jack, pas de traduction en français, et comme je compte utiliser un extrait, je m’excuse par avance car je ne compte pas m’aventurer dans de la traduction littéraire…

Incompetence, un nom parfaitement adapté à ce futur (trop) proche ou les lois des Etats Unis d’Europe protège les citoyens de la discrimination basée sur le sexe, l’âge, les croyances, et même l’incompétence ! Être sous-éduqué n’est plus une raison pour vous refuser un professorat. Avoir le vertige et ne pas savoir piloter n’est plus une raison pour vous refuser le droit de voler. Être en proie à des accès de violence paranoïde incontrôlable n’est plus une raison de vous empêcher de faire inspecteur de police. Dans une Europe ou même la stupidité est un droit de l’Homme protégé par-dessus tout, la médiocrité fait loi, et tout va de travers, sans que personne ne puisse protester sous peine d’empiéter sur les « droits » de ses concitoyens. Rob Grant pousse la défense du politiquement correct jusqu’au bout, et c’est tout bonnement hilarant ! On souffre, littéralement, avec le personne principal au long de ses tribulations dans cette Europe infernale, tortueuse et, au final, très proche de ce que tout un chacun a déjà eu à subir un jour ou l’autre (notamment lorsque le personnage a affaire au personnel d’une gare ou d’un aéroport…). Notre héros s’appelle Harry Salt, entre autre. Il a bien des identités, car il est enquêteur pour une certaine « agence » londonienne jamais nommée mais qui semble très familière, suivez mon regard. Il traque un tueur en série qui, à l’inverse d’une grande partie de la population qui n’a plus besoin de se fouler pour grimper les échelons, est resté d’une extrême compétence. Et quand le tueur est parfait mais que l’enquêteur doit jouer selon les règles d’une Idiocratie toute puissante… les choses se gâtent !

Sérieusement, le guichetier de gare et le train pour Vienne...
Je n’irai pas beaucoup plus loin dans la description de l’histoire que je vous recommande vivement, je me suis vraiment bien marré de bout en bout ! Seul bémol peut-être, dans le dernier tiers du livre la partie où il doit prendre un train pour Vienne qui passe par la gare mais repart aussitôt (Chevalier et Laspalès bonjour ?) auprès d'un guichetier maniaque et psychotique traîne un peu trop en longueur et aurait gagné à être plus directe pour arriver enfin au climax. Pour le reste, c’est dynamique et l’humour est agréable, parfois scato mais sans surcharge, et quand il descend à ce niveau-là, c’est toujours avec une plume fleurie offrant un contraste entre un anglais chatoyant et… la scène décrite à proprement parlé. Des moments d’anthologie comme la reconstruction des événements d’un des crimes – empoisonnement au cours d’un dîner mondain – est juste énorme. Dommage, cependant, que la grosse pique contre les Allemands – rien de personnel contrairement à Aachen – soit gâché par le fait que Rob Grant a oublié que le soleil se lève à l’Est, et donc que lorsqu’on arrive de Londres vers Paris, on a 1 heure de retard et non d’avance… Cela dit, la blague elle-même m’a quand même fait marrer ! “Most people would have had second thoughts about returning at all after their original faux pas. But then, the Lunghers are German, and therefore impervious to embarrassment” ^^

Bref, je vous recommande le livre, et si vous êtes du genre à craindre le moindre rikiki spoiler, je vous déconseille de lire le prochain paragraphe bien que ce dont je m’apprête à parler n’est pas vraiment une énorme surprise. L’intrigue policière n’est pas fabuleusement originale et on sent venir les twists à quinze kilomètres. Je doute que Rob Grant cherche vraiment à nous surprendre avec son tueur, et ce sont les saynètes du calvaire de Harry Salt qui font tout le piment du livre. Le tueur, soyons honnête, on s’en fout un peu (beaucoup). Mais alors quel est ce twist « de l’auteur » qui m’a tant surpris, si ce n’est pas dans le scénario ? Mini-spoilers suivent :

Tout au long du texte, on présente la fédération européenne comme un gros paquet de bras-cassés, des branques incompétentes qui portent des chaussures de merde faites en fibres de légumes – c’est bio et non-animal ! – et qui n’arrivent à rien, construisent des bâtiments inutiles et inutilisables, posent leurs avions sans trains d’atterrissages, etc. Les lois émises par Bruxelles sont de plus en plus compliquées « on ne peut plus traverser la route sans enfreindre 3 lois et 15 recommandations ». L’Europe Unie de Rob Grant est devenue une telle usine à gaz que « tout le monde est un criminel ». Avant toute chose, j’ai trouvé cet aspect de l’univers et de la critique très bien faite ! Sans insister comme un malade sur le côté « calibre des tomates », Grant parvient à émettre son point de vue sans avoir besoin de marteler le crâner de son lecteur comme un philosophe des cavernes (Andrew Roberts, c’est vers toi que mon regard se porte…). Tout semble donc aller de travers dans l’Europe Unie, « Unis dans la Médiocrité » pourrait être sa devise. Critique de l’UE, absolument. Mais au final, on tourne les pages encore et encore et l’auteur ne défend toujours pas « autre chose ». Et là on arrive au climax avec « le méchant ». Et OH ? SURPRISE ! L’auteur prend sensiblement parti pour le besoin de voir l’Europe unie. Et mieux encore, la conversation entre le méchant (je ne donne pas son nom pour éviter le spoiler) et Harry Salt donne un relief à tout ce qu’on a lu des E.U.E. jusqu’ici dans le roman ! Les Etats Unis d’Europe ne sont plus seulement un décor, et même si l’auteur ne s’attarde pas beaucoup sur le sujet, la conversation  en dit déjà énormément. Extrait en VO :

Harry : Have you taken a look around you here ? Seriously ? I mean, we’re hopeless. I’m wearing shoes made of melon, We imprison greengrocers for selling carrots that aren’t the right shade of orange. We churn out a hundred new laws and regulations every day, so fast we can’t keep up, and turn the entire population into unwitting criminals. We’re crap. We don’t even like each other. OK, we’re nominally united, but the Greeks hate the Turks, the Italians hate the French, the French hate the Germans, and the Germans hate everyone… We’re like a gigantic dysfunctional family on a self-destruct mission. We can’t agree on anything important. We’re wallowing in a stinking cesspool of historic national hatreds that date back centuries.

Tout est dit sur les Européens et ce qu’ils pensent d’eux-mêmes. Le manque de confiance en eux-mêmes, les vieilles rivalités, l’incapacité de passer outre de « vieilles histoires de familles » qui datent de plusieurs dizaines de générations voire siècles, l’impression de ne pas être unis autrement que « techniquement ». Et là, la réponse du « méchant » :

Méchant : Now, you are. But for how long ? Twenty years down the line, it’ll be different. Thirty, forty years on ? A century ? How long did it take to Texas to feel part of the United States ? There’s still a good bunch of Texicans who’d polish up their muskets, put on their grey Johnny Reb uniforms and happily march into Washington whistling “Dixie” if they got half a chance. One day, Europe will click. It’ll see sense. It’ll see the power in unification. It will happen. It’s inevitable.

Et voilà. Qu’y-a-il de plus à ajouter ? L’unité parfaite satisfaisant tout le monde n’existe pas – Français nous sommes bien placés pour le savoir avec nos Basques, nos Corses, nos Bretons, nos Alsaciens. Il y aura toujours des indépendantistes, des régionalistes, à n’importe quelle échelle. Mais la majorité ? Comme toute intégration, c’est une question de temps, d’évolution des mentalités et d’impératifs socio-économiques. La logique qui, depuis des millénaires, a conduit des villages à se regrouper, des régions à se fédérer, des pays à s’associer. Mais après tout, c’est la réponse du méchant, on pourrait arguer que c’est donc la doctrine du Côté Obscur ? Pourtant, lorsque le tueur évoque son regret de n’avoir pas vu le Royaume Uni rejoindre les USA comme 53ème Etat ( oui, 53ème ^^) malgré les sérieuses négociations secrètes sur le sujet, Harry répond avec sincérité :

Harry : Britain become an American State ? That was never going to happen my friend. That’s somebody crazy pipe dream. (…) You know why you’re not well liked around the globe ? Because you’re an island race. You think the world ends just east of Ellis Island. (…) You don’t engage with the rest of the world.

Et bien non, Harry défend le Royaume Uni en Europe en rejetant la mentalité d’insulaire renfermé et nationaliste (gros clin d’œil appuyé aux lecteurs du journal anglais The Sun). La grosse surprise du roman ! Le perso principal, malgré tout ce qui va de travers dans l’Europe Unie, ne part pas dans le UK Über Alles de « Aachen » et même, dans une moindre mesure, « USE ». Au final et contre toute attente, le livre ne blâme pas les Etats Unis d’Europe, mais son côté usine à gaz, et lorsqu’on réalise que le tueur s’arrange pour maintenir les E.U.E. dans l’idiocratie (en liquidant ceux qui veulent se débarrasser de la loi protégeant l’incompétence), on comprend ce que l’auteur veut nous dire sur l’Europe : On pourrait être bien plus, si on arrêtait d’être con. La métaphore idiocratique prend tout son sens dans cette discussion finale. Imaginez que les Européens arrêtent de se crêper le chignon et de se compliquer inutilement la vie quand tout les pousse à se rassembler : Un potentiel énorme. Et le fait que nous ne franchissions pas cette étape, cette « thérapie familiale » en quelque sorte, ne profite qu’aux puissances étrangères et nous maintiennent au niveau zéro. « We’re crap ».

Au final, cette approche dystopique pour nous montrer à quel point nous laissons passer bêtement cette chance est très similaire à ma propre démarche, et même si Incompetence n’est pas à proprement parlé un roman militant pour l’unité européenne, son message est définitivement à l’opposé des pamphlets eurosceptiques que le reste des ouvrages sur le sujet a à nous proposer, en particulier chez les auteurs britanniques ! Je pensais réellement avoir affaire à un roman dans la veine de mes précédentes lectures, très critiques et globalement anti-UE :

Il y aura toujours des gros titres de ce genre là (Hey ! Mais c'est le Bureau Berlin Bruxelles !)

Et bien non. Incompetence, contre toute attente, est plutôt pro-Europe. Une énorme surprise, et qui m’encourage à poursuivre mes recherches de fictions impliquant une Europe Unie, car mes dernières lectures commençaient à me déprimer un peu… qui sait combien d’autres surprises je peux encore trouver sur mon chemin ?


Bon, j’ai commencé la lecture suivante et honnêtement, je pense pas la finir. Un article bientôt pour expliquer pourquoi, mais voici un indice sur le livre en question : Il y a six fois le nom Tom Clancy sur la jaquette, mais ce n'est pas écris par Tom Clancy.

vendredi 11 mai 2012

Brève artistique

Je tenais simplement à faire partager le travail de Ville Tietäväinen, un artiste finlandais dont les illustrations présentées ici furent utilisé dans un article sur "Les Frontières Vagues de l'Europe". J'avais déjà vu le concept de Rorschach appliqué à l'Europe auparavant, mais je trouve ces versions très belles. C'est une intéressante façon de présenter la question de l'identité européenne au travers de l'Art !
Je suis fan !

Dites-moi ce que vous voyez...

mardi 8 mai 2012

Bonne Fête de l'Europe ! Avec un extrait du tome 5...

Je vous souhaite à tous une excellente Journée de l'Europe ! En ces temps de Crise, de doutes et de regain nationaliste, l'ambiance n'est certes pas vraiment à la fête, mais nous vivons une période qui porte autant de promesses que de risques... Je ne tartinerai pas des tonnes sur la véritable Fête de l'Europe ou ce qu'elle m'inspire, on l'aura je crois déjà compris. En revanche, pour célébrer la fête nationale des États Unis d'Europe dans Pax EU, je me suis dit qu'un extrait du tome 5 "Consciences", sur lequel je planche actuellement (réécriture post-découpage powa), serait... de circonstance ! Jugez-vous même :-)




Amsterdam. 9 mai 2034.

            Les rues étaient envahies par une bonne dizaine de milliers de personnes venues protester contre l’implantation dans leur ville de l’Etat Major de l’Eurocorps, évacué d’Oslo sous la pression russe. Mais le choix de cette journée n’était le fruit du hasard : Le cortège festif de la fête nationale allait bientôt rencontrer au hasard des avenues et des boulevards la manifestation organisée par le Parti Défédératiste Régional. Un comité d’accueil d’une bonne centaine de CMO formait un cordon de sécurité qui devait empêcher les Défédératistes de déclencher une émeute contre les citoyens fêtant la journée de l’Europe sur fond du débat sur la Peine de Mort par Référendum. La confrontation symbolique s’annonçait violente, Euronews et Euromédia avaient dépêché plusieurs hélicoptères pour l’occasion.
            Le martèlement des pas se joignait aux cris dans un grondement qui montait crescendo. L’odeur de gasoil qui flottait dans l’air couvrait à peine un autre effluve, plus rance. Celui de la peur.
            Harbrecht avait les tripes nouées. Depuis que l’annonce d’un cordon de CMO avait circulé dans les rangs des protestataires, l’angoisse était monté au sein du gigantesque rassemblement. Les regards se faisaient moins assurés, les slogans étaient criés avec moins de vigueur, on surveillait les chauffeurs – casseurs authentiques et flics infiltrés. Personne, en cet instant, n’espérait réellement voir l’affrontement se produire, du moins pas en tant qu’agresseurs. Tramper ne savait que trop bien faire dégénérer les choses pour prendre de bonnes photos qui feraient sensation dans le Federal Post… Parmi les roublards défédératistes que le jeune étudiant en Histoire avoir eu l’occasion de rencontrer, certains étaient même spécialement formés pour repérer les POG – leur doux nom de code pour Petite Ordure Gouvernementale – et les « isoler ». La FedPol avait appris à se méfier lorsqu’elle envoyait des agents en civil titiller les manifestants à fleur de peau.
Après une dizaine de minutes de marche inquiète dans un centre-ville bouclé à double-tour et illuminé d’un immense ballet de gyrophares, Harbrecht déboula sur une avenue où se pressait déjà une dizaine de milliers de personnes. La plupart avaient le visage masqué par un foulard ou un bandeau, car depuis les émeutes qui avaient saccagé le Parlement Européen de Berlin, le nombre de caméras de surveillance avait plus que triplé dans toutes les métropoles des Etats Unis d’Europe. Beaucoup de meneurs défédératistes avaient été traînés au tribunal avec ces seules vidéos pour preuves. Tous avaient été condamnés.
–Harbrecht, ne t’éloigne pas de moi !
            Le jeune homme de dix-sept ans chercha son ami Maartens du regard. Il l’entraperçut entre deux grands costauds qui lui barrèrent la vue. À force d’excuses et de raclements de gorge, il parvint à traverser la foule pour arriver à la hauteur de son camarade. C’était à peine s’il sentait encore ses jambes engourdies par l’angoisse de cet inconnu qui sentait le souffre. Les visages cagoulés des inconnus balayés par les gyrophares bleu et vert de la police et le rouge orangé des fumigènes donnaient à la foule une aura irréelle.
–Les CMO sont au bout de l’avenue, l’informa son camarade, la voix tremblante d’excitation. Tu te rappelles ce que je t’ai dit ?
Le jeune Harbrecht hocha du chef, connaissant par cœur les règles qu’il fallait respecter au cas où les choses tourneraient mal. On lui avait même distribué une photocopie de qualité à peine digne d’un pamphlet, écris en caractères minuscules pour économiser le papier, afin qu’il n’oublie pas les « conseils de survie » des Jeunes Etudiants Défédératistes. Il resserra les lanières de son sac à dos pesant et jeta un regard anxieux aux alentours.
–Qu’est-ce qu’il y a ? ricana Maartens. Ne me dis pas que tu as peur !
            La voix moqueuse était presque couverte par les sifflets et les porte-voix. Mais ce n’était pas un sarcasme authentique et mesquin. C’était l’un de ces encouragements typiques qui vous taquinaient seulement l’égo et dont leur professeur d’Histoire Contemporaine abusait jusqu’au traumatisme étudiant.
« Vous avez bien parlé, monsieur Müller, mais vous n’aviez rien à dire. »
–Si, un peu, en fait, avoua-t-il sans lâcher son aîné d’une semelle. C’est ma première manif’.
–Je ne l’ai pas oublié. T’en auras d’autres, le rassura Maartens. Dis-toi que ta voix dans la rue remplace ta voix dans les urnes, celle que notre gouvernement de pourris qui nous dirige nous a volés. Et tant qu’à faire autant taper sur tous ces crétins décérébrés qui fêtent la journée de l’Europe Carcérale. Laisses sortir tout ce que t’as sur le cœur ! C’est la seule liberté qu’il te reste… avec, bientôt peut-être, le droit de voter pour l’exécution d’un autre eurocitoyen.
            Harbrecht, mal à l’aise, hocha à nouveau de la tête. Ses yeux passaient d’un manifestant à l’autre, il se sentait poussé par la masse, toujours en avant. Se serait-il arrêté qu’il aurait été certainement piétiné par la foule impatiente d’en découdre avec qui que ce soit. Des barres à mine apparurent comme par magie, des battes de base-ball, des poings américains. Une paranoïa récente s’éveilla chez l’étudiant qui se prit à se demander si l’un des défés cagoulés était en réalité un POG.
–Combien il y a de CMO ? demanda Harbrecht d’une voix chevrotante.
–Une petite centaine, éluda l’autre, je n’en sais rien. Tu as les bouteilles ?
–Dans mon sac.
–Parfait…
            La foule les poussa jusqu’à ce que les premiers rangs de manifestants se trouvent à une dizaine de mètres du cordon de CMO. Harbrecht calcula le nombre de rangées qui le séparaient des policiers. Une petite dizaine, tout au plus…
–On est trop près, dit-il en trahissant son angoisse. Il faut qu’on dégage tant qu’on le peut encore !
–T’inquiètes pas, c’est la meilleure place ici. Ouvre ton sac, qu’on prépare les projectiles.
       De l’autre côté de la barrière infranchissable des CMO aux visières convexes anonymes, le cortège de la fête nationale devenait de plus en plus imposant. Il y avait une foule gigantesque de chaque côté du cordon de sécurité, et des insultes criées à la volée commencèrent à fuser de chaque côté.
 
–Retournez lécher les bottes de Tramper ! hurla Maartens à l’attention des CMO qui restèrent impassibles.
            La cohue avait gagné toute la foule, et Harbrecht, noyé par le flot continu d’insultes et de bravades, se contenta de lever le poing comme les autres, sans dire mot cependant. L’air était déjà rempli de l’odeur âcre des fumigènes rouge ou orange que brandissaient certains manifestants.
–Hé ! T’es mou, lui reprocha Maartens, vas-y, crie un peu !
–Nan, c’était pas une bonne idée de venir ici.
–Ho ! Tu vas pas te débiner maintenant que ça commence à devenir excitant.
–Ça commence surtout à aller trop loin. S’ils chargent, on est mort.
            Trop loin ? A quoi s’attendait-il donc ?
Une vitrine explosa à moins de vingt mètres de là, la sonnerie d’alarme siffla au milieu du brouhaha. Un poste radio fut jeté d’on ne sait où et se fracassa sur le sol, à quelques mètres de la rangée de CMO. Une télévision miniature subit le même sort. Apparemment, c’était un magasin d’électroménager qui venait d’être fracturé. Une odeur âcre de plastique brûlé flottait dans l’air, une poubelle avait été incendiée quelque part. Puis le son strident d’un sifflet calma les deux foules. Les CMO levèrent leur bouclier de plexiglas et dégainèrent leurs bâtons électriques. Les chefs d’unités braquaient sur la foule leur fusil mitrailleur Défenseur, les commandos marchèrent de trois pas vers la foule qui recula d’instinct.
–Ils vont charger, prépare les bouteilles !
            D’autres hommes sortirent des camionnettes qui formaient le cordon de sécurité. Deux cent CMO séparaient à présent les Fédéralistes et les Défédératistes. Les CMO ne se tournaient pourtant que vers les protestataires, ignorant les insultes des festifs.
–Maintenant ! hurla Maartens en saisissant une bouteille de bière vide du sac de son ami.
            Plus habitué à ce genre de rassemblements, Maartens ne resta pas figé comme son camarade et envoya la bouteille qui éclata contre un bouclier de CMO. Ce fut le signal : des dizaines et des dizaines d’objets, du pétard au pavé en passant par les canettes et les caillasses, une nuée de projectiles s’abattit sur le rang de CMO qui essuya l’assaut avant de se mettre en marche vers la foule. Comme si de rien n’était, le verre brisé craquant sous la semelle de leurs rangers. Ils avançaient d’un pas ferme, mécanique, la visière de leur casque dissimulait toute émotion, des arcs bleutés crépitaient de leurs bâtons électriques. C’était presque une armée de robot qui s’avançait vers eux, programmée pour une seule chose : écraser toute opposition.
–Ils sont plus rapides que d’habitude, remarqua Maartens avec une pointe d’inquiétude.
–Je propose qu’on dégage ! Et vite !
–Ouais, réalisa-t-il alors que le premier rang se faisait complètement passer à tabac. On se casse !
            La foule refluait maintenant dans les petites ruelles, espérant échapper aux CMO qui se livraient à de spectaculaires arrestations musclées sous les yeux des caméras. Ces images qui avant auraient mis à dos l’opinion publique devenaient maintenant la preuve irréfutable que Tramper allait faire le ménage comme il l’avait promis. La panique gagna les premiers rangs de Défédératistes qui se piétinèrent littéralement pour fuir les impitoyables Commandos du Maintien de l’Ordre.
–Par ici ! fit Maartens en saisissant Harbrecht par le bras.
            Ils sortirent du cortège en débandade pour s’abriter derrière une voiture garée dont les vitres avaient été étoilées à coup de batte, l’autoradio fracturé. De l’autre côté, la foule se ruait vers les points de sortie possible. Certains ne furent pas assez rapides et se virent tirer comme du bétail vers les camionnettes. Le défédératiste avait la sueur au front.
–Ça ne se passe pas comme ça d’habitude.
–La Loi Martiale, comprit son ami. C’était couru d’avance…
–Non, non, même pendant la loi martiale… quelque chose…Merde, quelque chose a changé.
            Harbrecht, le pouls accéléré par l’adrénaline, jeta un coup d’œil par-dessus le capot de la voiture et vit des duels entre CMO par groupe de deux ou trois contre des hommes seuls, armés de barres à mine. Un policier gisait sur le sol, un Défédératiste l’achevait à coups de pieds répétés dans l’estomac. Plus loin un autre commando défigurait un jeune homme à coup de bâton électrique. Lorsque sa victime tomba dans l’inconscience, il la traîna par la cheville jusqu’à une camionnette dans laquelle elle fut jetée sans ménagement.
–Plus jamais tu ne m’emmèneras dans une connerie pareille, cracha Harbrecht paniqué.
            Il se rendait compte qu’il n’était même pas sûr de savoir exactement pourquoi il était là… Il eut été trop facile de mettre ça sur le compte de la manipulation, après tout ses nouvelles fréquentations avaient forcément déteint sur lui, mais savait-il vraiment pourquoi il manifestait ? Contre la loi martiale ? Contre la guerre ? Contre ces foutues caméras de surveillances qui pouvaient vous filmer toute la journée sans jamais vous perdre de vue un seul instant ? Contre Tramper ? Pour la Défédération ? Mais le vacarme des explosions de verre et des hurlements de panique le ramenèrent vite à la réalité. S’il avait voulu y réfléchir, il aurait dû le faire avant de foncer tête baissée dans ce piège à rat
–Je comprends pas ! répétait inlassablement son ami, toujours incrédule.
            Ils rampèrent au milieu des éclats de verre et se précipitèrent dans la vitrine fracturée. Les sèches-linge gisaient sur le sol, les télés avaient été volées ou jetées au sol – travail de POG probablement ; la caisse quant à elle avait été pillée. Les deux jeunes gens se tassèrent derrière un réfrigérateur américain assez massif pour les cacher tous les deux. Harbrecht reprit son souffle et écouta son cœur battre la chamade.
–On va se faire prendre !
–Ta gueule, on va pas se faire prendre !
Maartens retourna sa main et grimaça. Un éclat de verre était fiché dans sa paume, et le sang coulait abondamment.
–Et merde. (Il ôta sa veste et déchira son T-shirt pour s’en faire des lamelles) Je pisse le sang. Tiens, fait un nœud et serre fort !
            Sans parvenir à réfréner ses tremblements, Harbrecht prit les lamelles de tissu et enveloppa la paume de son ami avant de faire un nœud sur le dos de la main, serrant de toutes ses forces, si fort que son compagnon en grimaça de douleur. La poix rouge sombre lui collait déjà aux doigts.
–Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?
Le défédératiste réfléchit et se redressa contre le réfrigérateur, les genoux sous le menton.
–Il faut qu’on dégage de là. Le tramway ne fonctionne certainement pas et risque sinon d’être contrôlé. Le métro doit déjà être bouclé…Il faut rentrer à pied. Sortons déjà de ce magasin, s’ils nous y trouvent, ils vont croire que c’est notre boulot !
            Ils sortirent de leur cachette et regrettèrent d’avoir tant attendu : la foule s’était depuis longtemps dispersée devant la vitrine, et les CMO occupaient une bonne partie de l’avenue. Il ne serait pas facile de s’éclipser discrètement au nez et à la barbe des commandos. Harbrecht se rappela alors une de ces fameuses règles d’or : Ne jamais se retrouver isolé. D’un regard torve à Maartens il se demanda s’il avait vraiment eu tant d’expériences que ça. Ou bien les choses avaient-elles vraiment changé à ce point ?
–Le visage près du sol, on longe les voitures garées, c’est clair ?
–Je me souviens, confirma-t-il.
            Les deux jeunes hommes se glissèrent comme des ombres derrières la colonne de voitures stationnées, toutes en piteux état, certaine littéralement incendiée. Mais leur escapade ne resta pas longtemps discrète. Une manifestante en veste de cuir râpé et foulard sur le visage les aperçut et bondit vers eux depuis le kiosque à publicité derrière lequel elle s’était tapie. Harbrecht la maudit d’abord pour sa stupidité, lui faisant signe de rester planquée au lieu d’attirer l’attention sur eux. Puis il comprit. Elle arracha le foulard de sa figure et hurla quelque chose que le vacarme rendit incompréhensible. En revanche, elle brandissait clairement une carte de la FedPol dans une main, et un automatique dans l’autre. Des ordres furent beuglés à la volée, et plusieurs groupes de CMO accoururent dans leur direction, le pas lourd et rythmé.
–Là, on est mal barré, analysa rapidement Maartens. Ton sac, jettes-le vite !
–Je l’ai laissé dans la vitrine !
            La femme accourait vers eux, visiblement contente de sa prise. Ses cheveux châtains coupés court flottaient dans l’air enfumé et asphyxiant comme une de ces foutues pubs au ralenti sur Eurosoport. Ça la rendait encore plus détestable, cette fouine.
–Parfait. Laisses-toi faire maintenant, et tout se passera bien. Ne résiste pas !
–Ma mère va me tuer quand elle va apprendre ça… S’ils doivent me chercher au poste de CMO, je vais me faire emmurer dans ma chambre jusqu’à la fin de ma vie !
–Estime-toi heureux si tu gardes toutes tes dents…



Pour ceux qui débarquent sur pax-europae.eu et qui se demandent s'il n'y a pas un paradoxe entre mes opinions européistes et l'Europe Fédérale que je décris, les explications sont par-ici... :-)