mercredi 30 novembre 2011

The Aachen Memorandum : Euroscepticisme entre fiction et réalité

L’actualité française récente et les débats sur le retour en force d’une Europe Allemande m’ont fait hésiter un moment. Dois-je écrire un article pour exorciser ce cri de colère et de désespoir qui me vient quand je vois les nationalistes de gauche comme de droite torpiller une nouvelle fois la construction européenne, comme Charles de Gaulle l’a fait avec panache et efficacité en sabordant la Communauté de Défense Européenne ? Faut-il rappeler dans un long billet comment ils congratulent quand ils convainquent l’Allemagne de payer pour les autres à force d’impôts qui feraient pâlir les râleurs français ? Faut-il souligner que les « intérêts allemands » ne sont pas réellement dans le sauvetage de l’Europe, surtout face à l’opinion publique allemande qui en a plein le cul et les élections qui approchent ? Ou la lâcheté des politiques français qui soufflent le chaud et le froid et chargent le Grand Ennemi quand vient la débandade pour se laver les mains ? Oui, j’y ai pensé, puis, le hasard a voulu que je lise précisément aujourd’hui le livre de Andrew Roberts « The Aachen Memorandum ». Et c’est fort heureux, car je vais pouvoir répondre à cette hypocrisie ambiante et que trop familière en parlant d’une œuvre de fiction – Après tout, c’est l’essence même de Pax Europae.

Tout d’abord un petit résumé introductif sans grandes révélations. Nous sommes en 2045, en Région Anglaise, Etats Unis d’Europe ( Les familiers de ce blog comprenne à présent mon intérêt massif pour cet ouvrage. Il y a énormément d’éléments et de dénominations communs dans le roman de Roberts et mes propres fictions). Alors qu’on s’apprête à fêter les 30 ans du Référendum d’Aachen qui a fédéré l’Europe une bonne fois pour toute, et que le prétendant au trône d’Angleterre fait son premier voyage en terre britannique depuis l’exil de la famille royale, un antihéros obèse et asthmatique va se voir attribuer par le destin – et une intrigue échevelée – l’insigne honneur de révéler à ses compatriotes que le résultat du scrutin en Grande Bretagne a été falsifié. Les Etats Unis d’Europe sont bâtis sur une Fraude.

Yeah, dis comme ça, j’imagine que ça sonne encore très bien, et pour être honnête, la première moitié du roman est tout bonnement géniale. C’est George Orwell décrivant la fédération européenne. Tous les thèmes eurosceptiques y passent, de la bureaucratie kafkaïenne ploutocrate et délibérément obscure au politiquement correct à l’excès en passant par l’oligarchie, les mafias et la corruption. Et tout cela, décrit comme un « 1984 » moderne, avec les mêmes techniques, les mêmes tics, les mêmes ficelles. L’intrigue est souvent téléphonée, du coup, mais l’ambiance est digne de ’84, du « Meilleur des Mondes » ou de « Nous Autres ». On passe beaucoup de temps à simplement décrire l’environnement et la société européenne fédérale, ses travers et ses vices cachés. Et ça marche diablement bien, c’est corrosif et plutôt pertinent, même pour un europhile comme moi. Ses critiques sont des points noirs bien connus exagérés comme il se doit, et j’ai adoré. Les Directives pour tout et n’importe quoi, le « vocabulaire désigné » pour éviter les discriminatoires de tous genres qui sont toutes sévèrement – et souvent absurdement – punies par la loi, comme la galanterie qui compte comme du sexisme aggravé. On n’échappe pas aux critiques/clichés typiques des eurosceptiques britanniques ( la chasse à court, notamment ), mais dans l’ensemble ça se tient jusqu’à la moitié du roman. Toutefois, l’auteur lance alors pleinement son intrigue et se révèle alors aux yeux du lecteur ce que Roberts avait jusqu’ici astucieusement dissimulé derrière une satire intelligente : Un nationalisme bien dur, teinté de xénophobie et de gros clichés, totalement et indiscutablement manichéen. Le texte en est tellement chargé qu’un vague sentiment de malaise nauséeux persiste lorsqu’on a refermé la couverture rigide. Cette même impression maladive qui me prend lorsque je vois les politiciens et intellectuels français se donner l’accolade en blâmant l’Allemagne et en lui collant « une totale responsabilité » sur le dos. Je m’explique :

La manipulation scandaleuse du Referendum est peut-être fictionnelle, mais la fraude authentique et véridique est à mon sens la défense biaisée du nationalisme dont Roberts se fait le héraut. Je n’ai rien contre une exposition d’opinion tranchée du moment qu’elle reste argumentée, et le problème de Andrew Roberts, c’est qu’il perd toute crédibilité dès lors qu’il essaye de nous convaincre des bienfaits d’un « patriotisme décent et d’un nationalisme  responsable et respectable» dixit l’héritier du trône d’Angleterre lui-même. Pourquoi ? Parce qu’il biaise le débat de fond sur les conséquences directes du nationalisme et particulièrement des Etats Nations, à savoir la xénophobie, la guerre, l’impérialisme totalitaire, etc. Car tout ceci n’est pas le fruit du nationalisme véritable mais… des précurseurs du fédéralisme ! Et comment mieux justifier cette brillante théorie que d’associer dans un cours d’école primaire, parmi les Grands Unificateurs de l’Europe, Charlemagne, Louis XIV, Napoléon, Hitler, et Jacques Delors ! (Liste non-exhaustive. Si le livre n’avait pas été écris en 95, vu le sors réservé à Delors tout au long du livre je n’ose imaginer le traitement infligé à Barroso) Puis dans un émouvant discours du Prétendant au Trône de rappeler comment Sir Churchill a bataillé ferme pour empêcher toute intrusion d’un système politique ou d’une institution étrangère durant la WW2… oubliant le revirement sympathisant-fédéraliste-mais-néanmoins-pragmatique du Sir en question qui formula, lui aussi, l’expression Etats Unis d’Europe comme avenir du continent comme j’en parlais déjà dans un précédent billet. Cette europhilie tardive, revirement dans la politique de Churchill après-guerre, n’est jamais évoquée alors que le nom même de la Résistance Anglaise fait référence à sa prise de pouvoir (Dix Mai). Il y a également l’exemple des hooligans, oui, l’auteur a osé. Il faut une grosse paire de Balls, n’est-il pas, pour affronter à un contre dix des forces mieux armées et mieux organisées ( la police ) afin de résister aux provocations des supporters allemands qui scandent des insultes fascistes ( à savoir que les anglais ont toujours été et seront toujours des esclaves). Le hooliganisme, un pur élan de patriotisme glorieux ( et sans doute responsable et respectable ). Mais c’est pour défendre les idéaux de liberté de la Couronne (Colonies ? Injustices dans le Common Wealth ? Jamais entendu parlé. D’ailleurs le roi a trouvé refuge en Nouvelle Zélande, à leur demande, il est toujours leur roi…) et la splendeur passée de son économie injustement mise à mal par les E.U.E. qui ne défend pas ses intérêts. Oui, tous les persos se foutent des intérêts des autres pays comme de l’an 40, les fédéralistes autant que les nationalistes, semble-t-il. Tout tourne autour de la Grande Bretagne, et si on peut comprendre que ce soit normal pour un auteur britannique de se concentrer sur son lectorat principal, sur un sujet comme la construction européenne et la fédération, évoquer que les pays baltes se révoltent aussi de temps en temps et que d’autres régions européennes seraient prêtes à suivre le mouvement – le leadership – c’est très léger, surtout quand on se cantonne aux eurosceptiques actuels. En cela, les commentaires en double-langage ( tiens, tiens, Orwell, encore une fois ) des Français en ce moment me donne la diarrhée : D’un côté on charge l’Allemagne qui soit-disant la joue perso et défend ses uniques intérêts en demande un pouvoir parlementaire plus grand, de l’autre on réclame un Conseil Européen fort où le Président Français est – paraît-il – écouté. Donc en gros, la France d’Abord. Dans la réalité comme la fiction, les opposants à une Europe plus unie ne défendent pas la libertés des peuples et des « démocraties nationales » mais bien leurs petits intérêts communs. Mais dites-moi, chers compatriotes français, lorsque la zone Euro se sera effondrée par votre manque de courage politique et vos coups de boutoirs nationalistes, et que l’Union Européenne suivra, dites-moi comment vous défendrez vos démocraties nationales contre les investisseurs extra-européens ? L’Europe aux enchères sur E-Bay, comme la Grèce, mais sans la Communauté comme cadre pour s’assurer des intérêts communs. Chacun pour soi, vendu séparément, et l’Europe divisée à nouveau, comme au bon vieux temps je suppose. Nous deviendront peut-être des républiques bananières pour quelques riches investisseurs asiatiques, arabes ou américains, mais nous auront notre Franc. C’est ça qui compte, dans la protection de nos libertés et de nos démocraties nationales.

Mais revenons au roman de Andrew Roberts. Tout comme dans la réalité aujourd’hui, on touche là un point qui dérive de cette défense du nationalisme sans nuance, c’est que non content de défausser les pires aberrations nationalistes sur les fédéralistes ( Hitler est mentionné dans ce contexte plusieurs fois avec insistance, de même que Vichy. Les Français ont d’ailleurs érigé une statue à l’effigie du Maréchal pour le centenaire de son accès au pouvoir suprême. Oui, oui, après tout, c’était un fédéraliste convaincu. J’aimerai que Spinelli puisse donner son avis sur le fédéralisme nazi, lui qui a forgé son européisme dans les geôles fascistes italiennes, je suis sûr qu’il serait tordu de rire, pas vous ? ), Roberts exergue ce qu’il y a de plus horripilant dans les clichés britanniques sur le reste du monde simplement pour « défier le politiquement correct ». Sur le principe je veux bien, mais tout comme K. Dick m’avait écœuré dans « Le Maître du Haut Château » avec sa xénophobie, son racisme et son antisémitisme trop souvent injustifié, d’autant plus dans un texte condamnant les nazis et les Japonais Impériaux, Roberts me tue avec sa germanophobie primaire et son mépris anti-français. C’est non seulement cliché, mais ça en devient rapidement insultant, et pour moi en tant que Français ET Allemand, mais aussi pour mon intelligence en tant qu’être humain. Car oui, je dois avouer que voir jouer une fois de plus la carte honnie de la cabale pangermanique, ça me lasse. Ça commence en douceur pour le choix de la ville phare du referendum frauduleux qui a fédéré l’Europe : Aachen, ex-capitale de Karl der Grosse. Puis on évoque la mode parler Allemand entre non-allemands et là, déjà, mon germanophobimètre a commencé à biper – il a de l’expérience. Puis on insiste de plus en plus lourdement sur un mystérieux Bureau Berlin-Bruxelles, une sorte d’organisation secrète et officieuse. Puis on révèle que, lorsque certains pays ont été démantelés comme la Grande Bretagne, ce fut aussi le cas de la Pologne, dont la partie ouest a intégré… Grossdeutschland ( et je ne plaisante pas, c’est écris tel quel). Puis on nous dit que les Allemands ont téléguidé les fédéralistes pour prendre le contrôle de l’Europe sans guerre, cette fois, mais par la ruse ( L’Allemand est fourbe, il sourit comme s’il était poli mais il ne l’est pas. Madame, si vous reconnaissez vos paroles, je vous salue bien bas avec mon plus grand sourire ). Enfin, et si tout ceci n’était pas assez clair, on nous affirme – puis confirme ! – que les Allemands aiment à appeler les Etats Unis d’Europe, lorsqu’ils pensent qu’on ne les entend pas… oui, vous avez deviné, ils aiment à appeler l’Europe : Le Reich. De Charlemagne à Hitler en passant par Kohl et tous leurs amis collabos français, la construction de l’Europe EST indiscutablement une cabale germanique pour le contrôle de l’Europe. Roberts va même jusqu’à nous sortir le coup de la traîtresse qui se révèle être une teutonne fourbe et vicieuse, qui nous donne du Jawohl mein Herr de bonne figure au final pour bien faire comprendre que les Grands Méchants sont, encore une fois, les Allemands, tout ça pendant que le futur roi d’Angleterre nous chante haut et fort les louanges du nationalisme retournant glorieusement en Angleterre. Désolé, mais je me sens insulté, quelle que soit mon origine. Le roman commence comme George Orwell et se conclut comme Dan Brown. Et ce n’est pas un compliment.

Et ce problème de peur de voir revenir le « Spectre d’une Europe allemande » me tue. Combien de décades – de siècles ? – faudra-t-il pour qu’on nous lâche avec ce refrain réchauffé ? Quand j’entends demander à l’Allemagne de revenir à sa sagesse d’après réunification, monsieur Attali et Consorts avec tout le respect que je vous dois, cela veut-il dire « Travaille, paye et tais-toi » ? C’est ça votre idée de la sagesse allemande dans une Europe raisonnable ? Dans « The Aachen Memorandum », Roberts commet la même faut de goût irréparable à mes yeux : Parler de l’avenir de l’Europe du XXIème siècle le regard braqué sur 1939-45, sans critique, sans recul, sans rien apprendre des décades qui nous en sépare aujourd’hui. Et sans regarder le monde autour de nous, comme s’il allait nous attendre de toute façon. Mais il ne nous attendra pas, et s’apitoyer sur notre sort en se remémorant la larme à l’œil comme c’était mieux avant quand on pouvait encore casser du boche sans que ça soit politiquement incorrect ne fait pas vraiment avancer le schmilblick. D’autant plus quand, sous couvert d’amitié et de relations cordiales, on continue de se servir du même bouc-émissaire encore et toujours pour faire sonner les cloches de la cohésion nationale juste avant des élections cruciales. A n’en pas douter, le « Aux Armes Citoyens, le Boche ne passera pas ! » a de fortes chances d’être entendu, et j’ignore ce qui me chagrine le plus : Que les gens vont répondre à l’appel, où que les politiciens d’aujourd’hui continue à sonner le même cor sans vergogne pour protéger leur prérogatives nationales ( qui rapportent gloire et salaire ). En France le bon vieux système présidentiel tout-puissant, dans « Aachen » le fameux Roi d’Angleterre – comme si c’était l’Europe et non les parlementaires britanniques eux-mêmes qui en avaient fait une marionnette marketing.

Il y aurait tant à dire su le sujet mais je m’égare. Les passéistes réactionnaires me mettent hors de moi lorsqu’ils n’ont pas d’argument à me présenter autre que le Fantôme Pangermanique. Et « The Aachen Memorandum », aussi brillante que soit sa première partie, m’a laissé dans la bouche un goût d’amertume tenace. Bien que publié en 1995, j’entends toujours le même baratin presque 17 ans plus tard, et les ambitions hégémoniques allemandes sont à mes yeux clairement devenues le "Protocole des Sages" de l'Union Européenne. Un mythe qui va durer encore, et encore, aussi longtemps qu'un bouc-émissaire sera bienvenu.

Pouvez-vous faire plus malveillant ?

PS : Je reviendrais toutefois sur The Aachen Memorandum dans un article sur l’Europe fédérale elle-même, telle qu’elle y est décrite, ses nombreuses ressemblances avec ma propre vision, et nos divergences majeures.

PS2 : Et contrairement a ce que proclame la couverture présentée ici, je n'oserai pas comparer Aachen à Fatherland, loin de là.

samedi 12 novembre 2011

L'Européos : L'Hymne Fédéral Européen, un exemple concret

Suite à l'article précédent, voici un exemple concret de l'application de la langue européenne commune : L'hymne des Etats Unis d'Europe. Les paroles correspondent à la version de l'Hymne à la Joie de Beethoven, réorchestrée pour l'UE pour devenir l'Hymne Européen ( Retiré du statut d'hymne officiel par le Traité de Lisbonne, bien que 16 Etats Membres aient insisté sur l'importance que l'hymne, le drapeau étoilé et le 9 mai représentait toujours à leurs yeux ). 



Hymn to Joy (United in Diværsity) United States of Europæ federal anðem


Part 1

Europæ’s united now

Long awaited unity !

Broþerhood let’s be our vow

Bind us in Diværsity.

No more hate and no more borders

Europæns peace is ours

For we are no more just neighbours

No more partners but broþers


From ðe chaos we have rised

Facing our Fate with fear and hope

Never be þese days forgetted

When one þink we cannot cope


 (interlude musical)



Part 2

Europæns come, stand close

Against all adværsity

Ðe twelve stars and ðe wind rose

Guide our paþ to liberty.


We are one Folk* and one Nation

One Continent in unison

Behold the days of blossom

For ideals and freedom


War haved us too long divided

Shall now triumph peace and reason

Europæ is united

Our home, our vision


Bien que folk existât en tant que « populaire » dans l’Anglais Référence, le mot Européos Folk, de l’allemand « Volk » (peuple) permet de distinguer les gens (people) d’un peuple dans le sens d’entité culturelle. L’orthographe Européos emploie un « F » pour éviter une confusion phonétique. Le sens « populaire » de l’ancien mot « folk » est transcris par le même dérivé qu’en Allemand : « Folkish »



PS : Bon, je suis bien gentil de rassembler de jolis montages et autres illustrations de Paris en ruines et de la Tour Eiffel détruite, mais moi, je l'aime bien notre Tour Eiffel, alors je lui rend un hommage avec cette photo où non seulement elle tient debout, mais en plus, elle a vraiment la classe - je ne commenterai pas le bat-signalEUH je veux dire le gyrophare dont ils l'ont équipée. Donc désolé, amoureux du Paris post-apocalyptique, aujourd'hui c'est une capitale européenne que je salue par cette illustration. Que cela soit entendu !