mardi 21 juin 2011

2002 - 2011 : 9 ans de "Carnet de Guerre"

21 juin 2002.
 
La journée est longue, je m’ennuie. Je viens d’en finir avec le collège, je vais entrer au lycée, et plutôt que d’être excité ou anxieux, je suis surtout tout fou parce que l’Attaque des Clones vient de sortir, et que je n’ai pas encore le recul pour me dire que c’est le moins des 5 qu’on connaît. Or, cette excitation devant les idées de Guerre des Clones qui affluent dans ma tête, je ne peux pas vraiment la partager, car sous mes yeux attristés je ne peux que constater la mort estivale de mon forum habituel. Ce forum, je m’y sens bien, pourtant je suis un p’tit nouveau. Je décide alors de tenter de l’animer en écrivant une petite saga de l’été, la lubie de TF1. Une nouvelle basique, 50 pages maxi, essentiellement de l’ambiance. Je réfléchis et finalement, le soir venu, j’ouvre Word et je me lance dans un doc intitulé « Ultime World War », un titre ronflant très « blockbuster de l’été » vite renommé en « Carnet de Guerre » devant l’importance que prend rapidement cet élément de l’intrigue.


21 juin 2011.

La journée est longue, je m’ennuie. Je viens d’apprendre que j’ai été accepté dans une université en Finlande pour un cursus de trois ans, je vais déménager dans un mois et demi à 2000 bornes de mon ancienne vie après une redirection brutale de mon orientation. Je reviens d’un Service Volontaire Européen en Grèce. En deux mots : Tout change. Les choses ont évolué très vite en à peine un an, alors que pendant près de 9 ans j’ai beaucoup stagné, sans atteindre tous mes objectifs, renoncé à certaines filières qui me tenaient à cœur. Il aura fallu mon expérience de travail social en Grèce pour me relancer proprement dans une voie qui me motive réellement. Pourtant, malgré certaines mésaventures, il y a une chose que je tire de ces années et dont je suis fier. Vraiment fier.

La nouvelle de cinquante pages a grandi. Elle est devenue une trilogie, puis une tétralogie, pour enfin s’accomplir en octalogie. Plus qu’un cycle, c’est devenu un véritable univers, avec des textes annexes, parfois conséquents, un site et un blog, et surtout un Jeu de Rôle en préparation qui me permet de creuser et de développer des éléments à volonté.  « Carnet de Guerre » s’est fondu dans « Pax Europæ ».

J’aimerai pouvoir écrire à quel point je suis content d’avoir mis tout ça sur le papier, mais comment décrire ce qu’on ressent après avoir travaillé si longtemps sur, globalement, le même projet ? Certes, il y a la fierté de voir l’univers s’étoffer et intéresser d’autres gens, il y a la fierté devant l’épaisseur des versions imprimées, lorsqu’en voyant la rame de papier y passer on se dit « Ah, ma trilo… ». C’est vaniteux, peut-être, mais cette rame de papier représente des centaines, des milliers d’heures de rédaction. Des journées entières, des nuits sans fin, des centaines de bouteilles de coca, des centaines d’heures de BO tournant en boucle, des centaines d’euros d’impressions diverses pour tenter l’édition, un paquet de lettres de refus, un coup de téléphone d’encouragement d’une certaine maison (Merci madame Toly), et tout ça, quand on le contemple sous la forme d’une rame de papier, ça rend déjà fier. Je n’ose imaginer le bonheur de voir son travail achevé, corrigé, illustré, publié, lu. Mais le plaisir que je ressens devant le fait accompli, un cycle de sept tomes, un huitième tome bientôt achevé, deux tomes indépendants, des nouvelles, le JDR, c’est déjà un vrai plaisir. Bien sûr, les refus d’édition ont provoqué des baisses de moral, et l’idée d’avoir écris un paquet de merde – certes un gigantesque paquet, mais de merde tout de même – m’a forcément traversé l’esprit. Mais je n’ai jamais arrêté d’écrire pour autant.

Et lorsqu’on m’a suggéré de changer d’univers, d’écrire d’autres choses, je n’ai pas pu. J’ai essayé, sans succès. Je pense que cela tient à plusieurs raisons, mais essentiellement parce que je n’avais pas fini de dire ce que j’avais à dire sur l’univers, et surtout parce que l’univers m’éclate. Tant que j’avais des choses à raconter, des sujets à traiter, et que Pax Europæ s’y prêtait, je ne voyais pas de raison de passer à autre chose, parce que je l’aime, et je m’y amuse comme un fou. Tout ce dont j’ai envie de parler, je le peux dans ces textes. Changer d’univers pour être plus vendeur, plus accessible, ou que sais-je, aurait été plus sage  pour me « vendre ». Mais j’aimais trop Pax Europæ pour quitter le navire avant d’en avoir fini.

Aujourd’hui, en juin 2011, je viens de finir le découpage de ma tétralogie en octalogie, et j’attends patiemment les retours de mes bêta-lecteurs, je travaille sur les retouches d’Europæ pour boucler définitivement le tome préquelle et je m’applique à finir la rédaction du tome 8, le final du cycle « Carnet de Guerre », la conclusion chronologique à l’univers. Europæ sera l’alpha, le tome 8 l’Omega. Deux textes à finir, et les récits principaux seront achevés. Bien que cela ne signifie en rien la fin de l’univers (ne serait-ce qu’à cause du JDR et d’éventuelles – et inévitables – nouvelles), la base sera véritablement achevé et se tiendra parfaitement. C’est une grande étape qui s’annonce pour moi. Un peu comme la Revanche des Sith pour un fan de Star Wars, après 28 ans, la saga est complète (et l’univers continue à s’étendre, pour le meilleur et souvent le pire…). J’avoue que c’est impressionnant. L’excitation d’arriver à la fin d’un tome de 250 pages A4 représentant un an de travail n’est rien à côté de l’euphorie de mettre le mot Fin à 1200 pages A4 représentant 9 ans de travail.

Dans un an, je fêterai la date symbolique des 10 ans. J’espère en avoir fini avec la préquelle et le tome 8, vu ce qu’il reste à faire, ce serait inquiétant de ne pas y parvenir ! Où en serai-je avec l’univers ? Que sera devenu le JDR ? Me serai-je lancé dans une énième « nouvelle » de trente pages qui finira en tome de 205 pages (« Honneur et Patrie, que puis-je faire pour vous ? ») ? Aurai-je tout laissé tomber avec la satisfaction d’avoir mené l’histoire centrale à son terme ? Qui peut le dire…  En un an j’étais passé des premières lignes d’une nouvelle de 50 pages aux premières lignes du tome 2 sur 2 de Carnet de Guerre, en me disant que « Whoa, deux tomes de 230 pages, ça va être énorme ! »  La vie, c’est comme une boîte de chocolats…

Avant de terminer cet article shamallow bourré de nostalgie, je tiens à rester dans le ton pour un salut respectueux et mes plus grands remerciements à quelques personnes qui m’ont particulièrement soutenu dans le projet. Ils ont contribué à faire de Pax Europæ ce que l’univers est aujourd’hui, à travers leurs conseils, bêta-lectures, participations, brainstormings, claques mentales. Beaucoup de gens ont donné leur avis et m’ont encouragé à leur façon, donné des coups de pouces et des conseils, mais, là je parle de ceux sans qui ma persévérance et mes ambitions auraient été bien moindres aujourd’hui.



Merci du fond du cœur à Kevin Kiffer, Arnaud Demilecamps et Nicolas Morgenthaler, et un merci particulier à Carine Toly.


De très anciennes versions imprimées tirées de mes archives persos... Nostalgiiiiie ! En agrandissant vous noterez quelques détails bien vintage au niveau des titres notamment :-) Et histoire de citer mes sources proprement, l'article sur Pskov tombait pile poil durant ma rédaction du tome 1 dans le journal des Dernières Nouvelles d'Alsace. La coïncidence m'avait amusé, j'ai gardé l'article... 9 ans après, il est toujours là !


PS : Kevin, Arnaud, Nico… Après un tel étalage de bons sentiments, je suis en droit d’exiger des bêtas ultra-rapides, non? -.-‘

samedi 18 juin 2011

Des Etats Unis d'Europe, et de la responsabilité des Eurocitoyens

Après le discours de Hugo qui a imprégné profondément mon approche première du fédéralisme européen, voilà un autre discours pro-fédéraliste, auquel je me devrai d'apporter un petit commentaire toutefois. Il s'agit d'un discours de Winston Churchill à l’université de Zurich, du 19 septembre 1946. Je trouve intéressant d'observer l'évolution entre le projet fédéraliste hugolien des années Guerre de 70 et celui des "Pères Fondateurs", dans les années post-39-45. Si Churchill n'exprime pas tout à fait le point de vue de chacun sur la question, il n'empêche que les fédéralistes qui l'entourent à l'époque ( Monnet en tête, mais pas seulement ) sont tout de même grosso modo sur la même longueur d'onde. Partant de cette différence de perspectives pour un projet apparemment similaire, j'aimerai m'adresser à mes concitoyens européens. Mais commençons par le discours lui-même :


"Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs,

J’ai l’honneur aujourd’hui d’être reçu par votre vénérable université et je voudrais vous parler de la tragédie de l’Europe. Ce continent magnifique, qui comprend les parties les plus belles et les plus civilisées de la terre, qui a un climat tempéré et agréable et qui est la patrie de tous les grands peuples apparentés du monde occidental. L’Europe est aussi le berceau du christianisme et de la morale chrétienne. Elle est à l’origine de la plus grande partie de la culture, des arts, de la philosophie et de la science du passé et du présent. Si l’Europe pouvait s’unir pour jouir de cet héritage commun, il n’y aurait pas de limite à son bonheur, à sa prospérité, à sa gloire, dont jouiraient ses 300 ou 400 millions d’habitants. En revanche, c’est aussi d’Europe qu’est partie cette série de guerres nationalistes épouvantables déclenchées par les Teutons dans leur course à la puissance et que nous avons vus au XXe siècle. La paix a été ainsi troublée et les espérances de l’humanité entière réduites à néant.

Et qu’est-il advenu dans tout cela de l’Europe ? Quelques petits États ont atteint une certaine prospérité, mais de vastes régions de l’Europe offrent l’aspect d’une masse d’êtres humains torturés, affamés, sanglotant et malheureux, qui vivent dans les ruines de leurs villes et de leurs maisons et voient se former un nouvel amoncellement de nuages, de tyrannie et de terreur qui obscurcissent le ciel à l’approche de nouveaux dangers. Parmi les vainqueurs, c’est un brouhaha de voix ; chez les vaincus : silence et désespoir. Voilà tout ce que les Européens rassemblée en d’anciens États et nations, voilà ce que la race allemande a atteint en allant répandre au loin la terreur. La grande république au-delà de l’Atlantique a compris avec le temps que la ruine ou l’esclavage de l’Europe mettrait en jeu son propre destin et elle a alors avancé une main secourable faute de quoi les âges sombres seraient revenus avec toutes leurs horreurs. Ces horreurs, Messieurs, peuvent encore se répéter.

Mais il y a un remède ; s’il était accepté par la grande majorité de la population de plusieurs États, comme par miracle toute la scène serait transformée, et en quelques années l’Europe, ou pour le moins la majeure partie du continent, vivrait aussi libre et heureuse que les Suisses le sont aujourd’hui. En quoi consiste ce remède souverain ? Il consiste à reconstituer la famille européenne, ou tout au moins la plus grande partie possible de la famille européenne, puis de dresser un cadre de telle manière qu’elle puisse se développer dans la paix, la sécurité et la liberté. Nous devons ériger quelque chose comme les États-Unis d’Europe. C’est la voie pour que des centaines de millions d’êtres humains aient la possibilité de s’accorder ces petites joies et ces espoirs qui font que la vie vaut la peine d’être vécue. On peut y arriver d’une manière fort simple. Il suffit de la résolution des centaines de millions d’hommes et de femmes de faire le bien au lieu du mal, pour récolter alors la bénédiction au lieu de la malédiction.

Mesdames, Messieurs, l’Union paneuropéenne a fait beaucoup pour arriver à ce but et ce mouvement doit beaucoup au comte Coudenhove-Kalergi et à ce grand patriote et homme d’État français que fut Aristide Briand. Il y a eu aussi cet immense corps de doctrine et de procédure, qui fut créé après la première guerre et à laquelle s’attachèrent tant d’espoirs, je veux parler de la Société des Nations. Si la Société des Nations n’a pas connu le succès, ce n’est pas parce que ses principes firent défaut, mais bien du fait que les États qui l’avaient fondée ont renoncé à ces principes. Elle a échoué parce que les gouvernements d’alors n’osèrent pas regarder les choses en face. Il ne faut pas que ce malheur se répète. Nous avons maintenant davantage d’expérience, acquise à un prix amer, pour continuer de bâtir.

C’est avec une profonde satisfaction que j’ai lu dans la presse, il y a deux jours, que mon ami le président Truman avait fait part de son intérêt et de sa sympathie pour ce plan grandiose. Il n’y a aucune raison pour que l’organisation de l’Europe entre en conflit d’une manière quelconque avec l’Organisation mondiale des Nations unies. Au contraire, je crois que l’organisation générale ne peut subsister que si elle s’appuie sur des groupements naturellement forgés. Il existe déjà un tel groupement d’États dans l’hémisphère occidental. Nous autres Britanniques, nous avons le Commonwealth. L’organisation du monde ne s’en trouve pas affaiblie, mais au contraire renforcée et elle y trouve en réalité ses maîtres piliers. Et pourquoi n’y aurait-il pas un groupement européen qui donnerait à des peuples éloignés l’un de l’autre le sentiment d’un patriotisme plus large et d’une sorte de nationalité commune ? Et pourquoi un groupement européen ne devrait-il pas occuper la place qui lui revient au milieu des autres grands groupements et contribuer à diriger la barque de l’humanité ? Afin de pouvoir atteindre ce but, il faut que les millions de familles collaborent sciemment et soient animées de la foi nécessaire, quelle que puisse être la langue de leurs pères.

Nous savons tous que les deux guerres mondiales que nous avons vécues sont nées des efforts vaniteux de l’Allemagne nouvellement unie de jouer un rôle dominateur dans le monde. La dernière guerre a été marquée par des crimes et des massacres tels qu’il faut remonter jusqu’à l’invasion des Mongols, au XIVe siècle, pour trouver quelque chose d’approchant, et tels aussi que l’histoire de l’humanité n’en avait encore jamais connu jusqu’alors. Le coupable doit être châtié. Il faut mettre l’Allemagne dans l’impossibilité de s’armer à nouveau et de déclencher une nouvelle guerre d’agression. Quand cela sera chose faite, et cela le sera, il faudra que se produise ce que Gladstone nommait jadis « l’acte béni de l’oubli». Nous devons tous tourner le dos aux horreurs du passé et porter nos regards vers l’avenir. Nous ne pouvons pas continuer de porter dans les années à venir la haine et le désir de vengeance tels qu’ils sont nés des injustices passées. Si l’on veut préserver l’Europe d’une misère sans nom, il faut faire place à la foi en la famille européenne et oublier toutes les folies et tous les crimes du passé. Les peuples libres de l’Europe pourront-ils se hisser au niveau de cette décision ? S’ils en sont capables, les injustices causées seront partout lavées par la somme de misères endurées. L’agonie doit-elle se prolonger ? La seule leçon de l’histoire est-elle que l’humanité est fermée à tout enseignement ? Faisons place à la justice et à la liberté. Les peuples n’ont qu’à le vouloir pour que leurs espoirs se réalisent.

J’en viens maintenant à une déclaration qui va vous étonner. Le premier pas vers une nouvelle formation de la famille européenne doit consister à faire de la France et de l’Allemagne des partenaires. Seul, ce moyen peut permettre à la France de reprendre la conduite de l’Europe. On ne peut pas s’imaginer une renaissance de l’Europe sans une France intellectuellement grande et sans une Allemagne intellectuellement grande. Si l’on veut mener à bien sincèrement l’œuvre de construction des États-Unis d’Europe, leur structure devra être conçue de telle sorte que la puissance matérielle de chaque État sera sans importance. Les petits pays compteront autant que les grands et s’assureront le respect par leur contribution à la cause commune. Il se peut que les anciens États et les principautés de l’Allemagne, réunis dans un système fédératif avec leur accord réciproque, viennent occuper leur place au sein des États-Unis d’Europe. Je ne veux pas essayer d’élaborer dans le détail un programme pour les centaines de millions d’êtres humains qui veulent vivre heureux et libres, à l’abri du besoin et du danger, qui désirent jouir des quatre libertés dont parlait le grand président Roosevelt et qui demandent à vivre conformément aux principes de la Charte de l’Atlantique. Si tel est leur désir, ils n’ont qu’à le dire et l’on trouvera certainement les moyens d’exaucer pleinement ce vœu.

Mais j’aimerais lancer un avertissement. Nous n’avons pas beaucoup de temps devant nous. Nous vivons aujourd’hui un moment de répit. Les canons ont cessé de cracher la mitraille et le combat a pris fin, mais les dangers n’ont pas disparu. Si nous voulons créer les États-Unis d’Europe, ou quelque nom qu’on leur donne, il nous faut commencer maintenant.

En ces jours présents, nous vivons curieusement sous le signe, on pourrait dire sous la protection, de la bombe atomique. La bombe atomique est toujours aux mains d’un État et d’une nation dont nous savons qu’ils ne l’utiliseront jamais autrement que pour la cause du droit et de la liberté. Mais il se peut aussi que d’ici quelques années, cette énorme puissance de destruction soit largement connue et répandue, et alors la catastrophe engendrée par l’emploi de la bombe atomique par des peuples en guerre, signifierait non seulement la fin de tout ce que nous nous représentons sous le mot de civilisation, mais aussi peut-être la dislocation de notre globe.

Je veux maintenant formuler ces propositions devant vous. Il faut que notre but permanent soit d’accroître et de renforcer la puissance de l’Organisation des nations unies. Il nous faut recréer la famille européenne en la dotant d’une structure régionale placée sous cette organisation mondiale, et cette famille pourra alors s’appeler les États-Unis d’Europe. Le premier pas pratique dans cette voie prendra la forme d’un Conseil de l’Europe. Si, au début, tous les États européens ne veulent ou ne peuvent pas adhérer à l’Union européenne, nous devrons néanmoins réunir les pays qui le désirent et le peuvent. Le salut de l’homme quelconque de toute race et de tout pays, ainsi que sa préservation de la guerre ou de l’esclavage, ont besoin de fondements solides et de la volonté de tous les hommes et de toutes les femmes de mourir plutôt que de se soumettre à la tyrannie. En vue de cette tâche impérieuse, la France et l’Allemagne doivent se réconcilier ; la Grande-Bretagne, le Commonwealth des nations britanniques, la puissante Amérique, et, je l’espère, la Russie soviétique – car tout serait alors résolu– doivent être les amis et les protecteurs de la nouvelle Europe et défendre son droit à la vie et à la prospérité.

Et c’est dans cet esprit que je vous dis :

En avant, l’Europe !"

C'était donc Winston Churchill.

D'emblée, je vais expédier l'introduction Image d'Epinale de l'Europe qui, si elle est assez douteuse sortie de son contexte, fait partie du goût de Churchill pour les grosses phrases qui ronflent bien, c'est son style après tout. Je me dois plutôt de remarquer avec quel talent il parvient à flatter aussi bien les revanchards que les progressistes en un discours aussi court. J'apprécie qu'il parle de réconciliation pour la Paix et la Justice mais... pas forcément après avoir tartiné une épaisse couche de culpabilité allemande, tout en enrobant la réconciliation d'une condition sine qua none. Un mal nécessaire. D'ailleurs il veut réconcilier "France et Allemagne", visiblement l'Angleterre n'est pas concernée. Sans parler d'une éventuelle culpabilité sur "France et Angleterre, lorsqu'elles en avaient les moyens militaires et financiers, n'ont rien fait pour empêcher Hitler de déclencher ce désastre terrible en Europe". Il y a donc certes une lueur d'appel du pied pour un rassemblement européen, mais dans la nécessité et la contrainte. Ce n'est pas vraiment ce que j'appelle de l'Européisme, mais de la Realpolitik.

D'ailleurs, on voit là le gouffre entre ce fédéralisme là et celui de Hugo. Dans son discours "Pour la Guerre dans Présent et pour la Paix dans l'Avenir", prononcé dans le contexte de la défaite française face à la Prusse durant la guerre de 70, Victor Hugo a au moins le bon goût de ne pas nier ou occulter l'esprit de revanche qui déjà habite la France, mais il a également le génie de retourner cette idée ( une de celles qui nous conduiront à la Première Guerre Mondiale ) au profit de son rêve de paix fédérale en Europe, voyez plutôt :

"Oh ! une heure sonnera — nous la sentons venir— cette revanche prodigieuse. Nous entendons dès à présent notre triomphant avenir marcher à grands pas dans l'histoire. Oui, dès demain, cela va commencer ; dès demain, la France n'aura plus qu'une pensée : se recueillir, se reposer dans la rêverie redoutable du désespoir, reprendre des forces ; élever ses enfants, nourrir de saintes colères ces petits qui deviendront grands ; forger des canons et former des citoyens, créer une armée qui soit un peuple ; appeler la science au secours de la guerre ; étudier le procédé prussien comme Rome a étudié le procédé punique ; se fortifier, s'affermir, se régénérer, redevenir la grande France, la France de 92, la France de l'idée et la France de l'épée.

Puis tout à coup, un jour, elle se dressera ! Oh ! elle sera formidable ; on la verra, d'un bond, ressaisir la Lorraine, ressaisir l'Alsace !

Est-ce tout ? non ! non ! saisir —écoutez-moi, — saisir Trèves, Mayence, Cologne, Coblentz…

Sur divers bancs. — Non ! non ! [Diverses interruptions.]

M. Victor Hugo. — […] Et on entendra la France crier : C'est mon tour ! Allemagne, me voilà ! Suis-je ton ennemie ? Non ! je suis ta sœur. Je t'ai tout repris, et je te rends tout, à une condition : c'est que nous ne ferons plus qu'un seul peuple, qu'une seule famille, qu'une seule république. (Mouvements divers.) Je vais démolir mes forteresses, tu vas démolir les tiennes. Ma vengeance, c'est la fraternité ! Plus de frontières ! Le Rhin à tous. Soyons la même République, soyons les États-Unis d'Europe, soyons la fédération continentale, soyons la liberté européenne, soyons la paix universelle ! Et maintenant serrons-nous la main, car nous nous sommes rendu service l'une à l'autre : tu m'as délivrée de mon empereur, et je te délivre du tien."

Entre un discours pacifiste lourdement mâtiné de reproches et de sourires forcés, et un discours apparemment va-t-en-guerre mais en dirigé vers un but unique : La fraternité Européenne que l'orateur défend bec et ongles depuis des années, et toujours encore, malgré la guerre récente et les haines attisées, sans hésiter je choisis le second ! “ Les paroles vraies ne sont pas agréables. Les paroles agréables ne sont pas vraies ” disait Lao-Tseu. Je n'irais pas jusqu'à dire que Churchill n'était pas sincère, mais on sent quand même que l'européisme qui se dégage de son discours est un européisme pragmatique. Il n'est pas question de réconcilier France et Allemagne parce qu'ils sont tous Européens, il faut jouer la carte européenne pour les empêcher de provoquer une autre guerre ( et accessoirement, en tant qu'Anglais, de les regarder le faire sans rien bouger pour ne réagir que quand il sera trop tard ).

Alors bien sûr, je ne peux le nier, c'était en effet une nécessité, et à défaut d'avoir retenu les leçons de la guerre de 70 en signant le Traité de Versailles, ils ont compris la leçon du Traité de Versailles en 45 - C'est déjà un début d'espoir en un progrès lent, mais présent, non ? La CECA a sauvé l'Europe d'un nouveau cycle autodestructeur, pour un temps en tout cas, et ça, même les eurosceptiques les plus convaincus doivent le reconnaître. On peut ne pas être enthousiasmé du résultat actuel ( voire des motivations originelles pour certains ) Le fait est là : Nous vivons la plus grande période de Paix à cette échelle sur le continent de toute l'histoire de l'Europe. Et il est facile de cracher dans la soupe par twitter depuis son-Iphone ou sur son site internet via une connexion haut-débit sur clavier sans fil et un écran plasma. Et ne me dites pas que tous les eurosceptiques / révolutionnaires libertaires de tous bords vivent exclusivement dans des fermes en consommant le lait de leurs propres brebis. Il y en a, mais la plupart sont comme vous, moi, lui, tout le monde : Ils profitent bien du confort d'une Europe en paix.

Est-ce dû à l'hypocrisie avide et capitaliste de Churchill et de Monnet le Banquier ? Peut-être.

Est-ce forcément la pire chose qui nous soit arrivé ? Acquiescer serait tellement hypocrite que cela en deviendrait insultant.

Est-ce qu'une raison pour s'en contenter aujourd'hui que la situation a radicalement changé ? Absolument PAS !

Du rôle des Citoyens dans une redirection de l'Europe

Un chagement doit avoir lieu, mais pour cela il faut que les Citoyens Européens prennent leurs responsabilités.

"L'Europe ne se fera pas en un jour, ni sans heurts. Son édification suivra le cheminement des esprits. Rien de plus durable ne s'accomplit dans la facilité. Déjà l'Europe est en marche et par-delà les institutions existantes, l'idée européenne, l'esprit de solidarité communautaire ont pris racine" disait Robert Schuman, peut-être trop optimiste, toutefois je ne peux qu'adhérer à l'idée selon laquelle la construction européenne doit suivre le cheminement des idées, or, si l'Union est si mal engagée aujourd'hui, n'est-ce pas parce que les gens n'ont plus d'idées européennes ? Ou s'ils en ont, ne les expriment pas, que se soit dans leur conversations ou, et c'est le pire, dans les urnes ? La faute de l'échec européen, l'Europe corporative et trop économique pour être honnête, je refuse de la mettre sur le dos de ceux qui ont fait, en leur temps, ce que les circonstances exigeaient. Car l'Europe que tout le monde critique aujourd'hui n'est pas une Europe fédérale mais confédérée : Le lien politique qui ferait de nous une vraie fédération dont les Pères Fondateurs rêvaient n'existe pas, leur projet n'a pas abouti, et l'Union Européenne d'aujourd'hui n'est pas la leur.

« Nous ne coalisons pas les états, nous rassemblons les hommes. » affirmait Monnet. Qui peut me dire les yeux dans les yeux, sans une énorme dose de mauvaise foi, que c'est le cas de l'Union Européenne aujourd'hui ?

L'exemple qui me vient pour démontrer la différence entre ce qui aurait pu être et ce qui est aujourd'hui, c'est la Réunification Allemande. Helmut Kohl a dit que "l’unité allemande et l’unité européenne sont les deux faces d’une même médaille." Permettez-moi de détourner légèrement cette citation en partant du postulat que cette médaille, c'est la politique d'unité pour la paix, de paix par l'unité. En 1991, deux Allemagnes se rassemblent, cela fait 40 ans qu'elles sont séparées, chacune ayant vécu sur un modèle de société complètement antagoniste qui leur a appris à se détester ou, au mieux, à se méfier l'une de l'autre, et la dernière fois qu'elles ont été ensemble, c'était sous la férule d'un régime autoritaire, militariste et expansionniste. Le parallèle entre la situation de l'Allemagne en 91 et l'Europe en 45 me semble assez clair, dit comme ça. Devant la création d'un Etat Allemand réunissant les deux sœurs jumelles, deux solutions s'offraient alors : La Fédération, ou la Confédération.

Imaginez la RCA - République Confédérale d'Allemagne. Deux Etats distincts, deux capitales distinctes, soumettant les parlements régionaux des Länders selon la vieille géographie, afin que les Deux Allemagnes conservent leurs identités nationales, leurs droit à l'autodétermination, etc. L'impôt de solidarité, les Allemands de l'Ouest, après l'avoir payé à reculons, finissent par le remettre sérieusement en question : Pourquoi s'acharner pour sauver le voisin puisqu'il n'arrive pas à remonter la pente ? Un Plan d'aide est nécessaire, mais les Allemands de l'Ouest ne se sentent pas très concernés par les problèmes de leur voisin de l'Est, car si leur monnaie est commune, leur politique est distincte et ne s'accorde pas, l'Ouest jouant ses billes avec les Français et les Anglais quand l'Est préfère commercer avec ses anciens amis du Pacte de Varsovie qui n'existe plus. Les "Wessies" donneraient bien des leçons d'économie aux Ossies, mais les Ossies donneraient bien des leçons d'humilité et d'humanité aux Wessies capitalistes dans l'âme. En gros, un pays qui ne marche pas. Ces reproches et problèmes existent bel et bien dans l'Allemagne d'aujourd'hui, mais pourquoi reste-t-elle la première puissance européenne ? Parce qu'en dehors d'une économie commune, la RFA est un gouvernement unique, qui a la bonne idée de déléguer les tâches qui ont trait à la diversité non pas à une échelle interétatique - qu'elle a supprimée en devenant une et indivisible - mais régionale. C'est la différence entre une Allemagne confédérale et fédérale.

L'Union Européenne fonctionne actuellement comme une confédération. Alors qu'elle a toutes les cartes en main pour être la première puissance mondiale, ses cheveux tirent dans des directions opposées. Et quant aux levées de boucliers à l'évocation des termes "première puissance mondiale", je tiens à rappeler que ça ne signifie pas forcément militarisme et oppression. Tout dépend du cheminement des idées. Contrairement à la plupart des superpuissances actuelles, l'Europe a un avantage certain : Son Histoire, et le fait qu'elle ait commencé à en apprendre des leçons. La mauvaise image que les USA ont donné à "première puissance mondiale" vient de son Histoire - jeune, impétueuse, révolutionnaire - C'est une nation qui n'a pas eu le temps d'exister suffisamment pour se permettre un recul sur son passé, sa politiques, ses motivations, ses erreurs. L'Europe a cela.

Et si l'Union Européenne, ou mieux encore, les Etats Unis d'Europe - Europe Fédérale, quel que soit le nom qu'on donne à ce projet - parlaient d'une même voix et utilisait son potentiel économique et son expérience, son vécu et son Histoire, dans les causes qu'elle jugera juste, avec les moyens qu'elle jugera juste, sans avoir à suivre ( ou impressionner dans le cas d'une certaine guerre actuellement en cours de l'autre côté de la Méditerranée ) d'autres superpuissances, alors l'Europe serait libre de sa politique, de ses décisions, bien plus libre que des Etats Nations individuels, isolés, écrasés par les Géants qui montent et ceux qui s'écroulent. Elle aurait une chance de représenter ses valeurs comme elle l'entend, car elle ne sourirait plus gentiment pour grappiller les miettes. Elle aurait droit de donner son avis sur la manière dont le quignon de pain doit être coupé. Et distribué.

A tous ceux qui se plaignent de l'inaction des pays occidentaux dans les drames du Tiers Monde ou même au sein de l'Union Européenne, ou à ses frontières, qui râlent de voir l'Europe dire amen à la Chine pour ne pas perdre un client, aux USA pour ne pas froisser son protecteur, à la Russie pour ne pas se voir couper le gaz... Rappelez-vous le dicton "diviser pour mieux régner" et demandez-vous ce qui se passerait si, en matière politique, nous ne l'étions plus... Loin de représenter uniquement un danger de tyrannie ( je ne nie pas que le risque existe ), le fédéralisme européen est une chance unique en son genre d'exprimer haut et fort - avec les moyens qui vont avec - Une voix nouvelle, créer l'équivalent de la Troisième Voie que les pays scandinaves représentaient durant la Guerre Froide.

Les Etats Unis d'Europe, c'est la seule chance que nous aurons jamais de créer une alternative politique, économique et morale crédible. A la seule condition de ne pas commettre l'erreur des bâtisseurs de l'Union : Une fois le projet lancé, il ne faudra s'arrêter que lorsqu'il sera abouti, sous peine de le voir s'enfoncer, s'effriter, puis s'écrouler. Et en cela, la faute d'un échec ne sera pas imputable seulement aux politiciens en place, mais aux Citoyens indolents qui n'auront pas pris leur vote à deux mains pour prendre leurs responsabilités.