vendredi 30 décembre 2011

Mes voeux pour 2012

Voilà, 2011 s'achève et ceci sera certainement le dernier article pour une année qui aura vu la Crise se creuser, les plans de secours échouer, la solidarité européenne se faire désirer, et d'un point de vue plus personnel, un déménagement en Finlande où ma perception de l'Union continue de s'affiner. Entre les six mois en Grèce en 2010 et les désormais sept mois en Finlande en 2011, j'ai pu observer les différences, les regards croisés, les évolutions de mentalités, et bien que ce soit fort intéressant, c'est également un peu effrayant parfois. Je ne reviendrais pas longuement sur les vestes qui se retournent ça et là, les reproches vaseux et hypocrites et l'opportunisme populiste qui flotte dans l'air comme le fumet nauséabond d'un chiotte d'autoroute. J'en ai assez tartiné précédemment. Pourtant, durant ces derniers mois, mes déboires en Finlande m'ont parfois donné envie de me taper la tête contre les murs, pestant que l'UE, ça ne marche pas et ça ne sert à rien. Les nuits sans sommeil entre deux démarches, exténué, sur les rotules, avec l'envie grandissante d'envoyer tout balader en poussant un grand cri. Bien sûr, ça sert à rien, mais ça soulage. Et je comprends que partout en Europe, à une toute autre échelle, les gens en aient marre et, comme moi, voudraient juste envoyer tout promener en hurlant. Certains ont commencé à le faire, d'ailleurs, ou du moins tenté. D'autre ont simulé pour le plaisir de casser. D'autres le font encore seulement par le verbe, et pas encore la barre à mine. Mais le mécontentement est là, palpable, nourri par la frustration et un cynisme de bon ton aujourd'hui.

L'Europe ne nous apporte pas ce qu'on attend d'elle, nous dit-on, et c'est pourquoi les gens la rejette. Très bien, mais sait-on vraiment ce qu'"on" attend d'elle ? Qui est "on" ? (Mon ancienne chef de l'UDS vous dirait ""On" est un con") Ou plutôt qui sont "on", et veulent-ils tous la même chose ?

Il faut avant tout se rappeler une bonne chose : L'Europe est un projet à long terme. Si "on" veut de l'immédiat clinquant et bling bling deux mois après quelques grandes phrases, "on" est bel et bien un con. Construire une union de cette envergure ça ne se fait pas en claquant des doigts, l'argent, n'en déplaise à certains, ne tombe pas du ciel ni des arbres, même quand on les bichonne en arrêtant le nucléaire, et surtout, nous ne sommes pas seuls sur cette planète. Le problème des débats sur l'Europe c'est qu'ils ne sont guère des débats européens. Ce sont des débats nationaux, orchestrés par des politiciens nationaux qui ont un échéancier national en tête ( chez nous il dure cinq ans ). Des débats menés et alimentés par des gens dont l'objectif premier est de réussir intra-muros, et pour qui Bruxelles, entité anonyme mais néanmoins tentaculaire et vorace, peut être blâmé pour tous les vices. Est-ce que ces gens là sont "on" ?

Les gens comme vous et moi, qu'attendent-ils de l'Europe ? Qui peut me le dire ? Union politique et/ou économique ? Avec un lien culturel et géographique ou pas ? Pour voyager, s'installer, ou bien simplement commercer ? Centralisé ou régionalisé ?

L'Europe, dit-on, ne s'intéresse pas aux gens. Sans vouloir raconter ma vie, mon expérience en Service Volontaire Européen m'a prouvé le contraire. N'importe quel jeune d'Europe peut partir travailler dans un projet dans une autre pays de l'UE aux frais de la Commission, apprendre une nouvelle langue sur place en apprenant à connaître les locaux, leur culture, leur mentalité, se faire des contacts, puis voyager chez ses ex co-volontaires. Je vois ça concrètement, et moi-même, j'ai suivie l'une de ces volontaires dans son pays natal. Mais bien souvent, le SVE, peu ou prou connaissent. Et il y a une palanquée d'autres programmes pour travailler ou étudier, et pas seulement le célèbre Erasmus, et pas seulement pour les jeunes. Qu'on arrête avec la théorie du désintérêt de l'Europe pour les gens, c'est au gens de s'intéresser un peu. Là encore, l'habitude d'ouvrir la bouche en attendant la cuiller serait peut-être à mettre sur la liste des choses à perdre pour 2012 en cette période de bonnes résolutions. Car oui, l'Europe est là, autour de nous, elle finances des projets, aide des entreprises, fais voyager des jeunes, leur offre des opportunités d'études et d'emploi. L'ouverture des frontières rend les choses bien plus simples qu'une génération auparavant, et comme dit le proverbe, l'avenir sourit aux audacieux. Il faut juste se lancer, tenter, oser. S'intéresser. Est-ce que "on" est prêt à faire cet effort ? Je demanderais même, est-ce que "on" en a vraiment envie ?

Croire que tout vient tout de suite en brillant de mille feu est au mieux candide, mais surtout idiot. Rome ne s'est pas faite en un jour, et si "on" croit qu'une recette miracle existe mais que la vilenie de l'UE l'en empêche - l'Europe pourrait mais ne veut pas ou bien Mon Pays peut mais l'Europe ne veut pas - se bercent de douces illusions, pourtant se sont souvent les mêmes qui prétendent que nos politiciens n'ont rien à nous offrir et qu'ils sont tous les mêmes ( Oui, avouez, ce sont les fêtes de fin d'année donc je SAIS que chacun d'entre nous a entendu ce refrain au moins une fois à sa table durant la semaine ). Tout le monde aime jouer les cyniques mais attend toujours des résultats immédiats, sinon ça veut dire que ça marche pas, mon bon monsieur, je vous l'avais bien dit ! Et bien non. Personnellement, ce sont quand les résultats sont trop bons trop vite que j'ai tendance à me méfier. Ou quand on me le promet.

tou(te)s en cette fin d'année :

En 2012, sortez-vous les doigts du cul.
Et servez-vous en pour voter.




Et pour finir néanmoins sur une touche plus subtile, quelques mots de réconforts plus courtois :

"L'Europe ne se fera pas en un jour, ni sans heurts. Son édification suivra le cheminement des esprits. Rien de plus durable ne s'accomplit dans la facilité." Robert Schuman


(Comme vous le rappelle cette plaque, d'ailleurs)

mercredi 21 décembre 2011

Altiero Spinelli, ou l'anti-Méthode Monnet


Alors que le Groupe Spinelli tente une nouvelle fois de motiver le Parlement Européen à prendre son courage à deux mains, je me suis dit qu'il était bon, après avoir cité Monnet, de se tourner vers Altiero Spinelli pour entendre une autre voix fédéraliste, et sans mauvais jeu de mot, une autre voie. Pour replacer très succinctement les choses dans leur contexte - d'autres sources fourniront de bien plus amples détails qui ne sont pas mon propos dans ce billet - le début des années 80 a connu un certain redémarrage du projet européen après une profonde période de doute et de stagnation. Ce redémarrage salutaire - ou pas selon les opinions de chacun - est dû à plusieurs initiatives qui, se cumulant, ont conduit de fil en aiguille à la signature de Maastricht et la création de l'Union Européenne telle que nous la connaissons. Maastricht, considéré par les eurosceptiques comme le "Traité de trop", est en réalité le fruit d'un travail admirable de Spinelli... bâclé, lorgné, réécris et expurgé par soucis de compromis. Le projet de Spinelli était certes bien plus fédéral que la version Maastricht, mais elle avait l'audace de tenter une nouvelle orientation, moins économique, plus concrète pour les citoyens européens. Quand la méthode Monnet se base sur la création volontaire d'un contexte de bien-être (qui passe par une stabilité économique) pour convaincre les citoyens du bien fondé d'une Europe unie, et donc les encourager à choisir l'union politique "en connaissance de cause", ce qui est fort noble au demeurant, Spinelli voyait les choses autrement. Altiero S. a découvert le fédéralisme européen en captivité pendant la guerre ( ironie du sort, par la littérature fédéraliste britannique ), et sa conception de la conviction européenne est très différente : Selon lui, ce sont les crises, et non la stabilité, qui doivent créer une solidarité européenne. Cela implique de rebondir sur les problèmes de la communauté européenne pour galvaniser les ambitions et unir les Européens dans l'adversité ( Les visiteurs de ce blog saisissent certainement l'impact de cette philosophie sur mon univers, en particulier dans "Europae"). Aussi, dans ce début des années 80, Spinelli entend-il souder le Parlement Européen dans lequel il officie autour d'un projet de traité qui, appelons un chat un chat, serait une proto-fédération fondée sur le pouvoir du Parlement au dépend du Conseil (Là encore, "Europae"...). Il est pourtant cours-circuité de peu par un projet concurrent émanent de membres du Conseil des Ministres, la fameuse "Initiative Genscher/Colombo" qui deviendra le "Plan d'Acte Européen". Spinelli sait que la division des fédéralistes, principalement divergents sur la méthode qui doit unir l'Europe, risque de saborder tous ses efforts et torpiller cette opportunité après des années de marasmes, aussi n'est-il pas peu dire que lorsqu'il s'exprime devant le Parlement Europén le 19 novembre 1981, il a passablement les nerfs. Pourtant, malgré les enjeux, il prouve qu'il est un Grand Homme par cette mémorable leçon d'européisme :


 "
Madame le Président, je vais employer encore une fois une langue véhiculaire.

Si j'étais croyant, je commencerais par les mots «Gott helf mir ! - que Dieu m'aide !» Car d'une telle sorte d'aide mystérieuse j'ai besoin pour ce que je vais essayer de dire au cours de ces misérables cinq minutes que le Règlement m'attribue. Je vais essayer, Monsieur Genscher et Monsieur Colombo, de vous convier à vous placer au-dessus de vous-mêmes, à la hauteur de la tâche que vous vous êtes assignée.

Nous vous sommes reconnaissants avant tout, Messieurs les ministres allemand et italien, pour votre initiative car en proposant cet acte européen, vous avez brisé un tabou qui pesait depuis trop longtemps sur toute la construction européenne: le tabou qui interdisait de regarder au-delà des tâches économiques propres à la Communauté. Vous avez eu le mérite de dire que le moment est venu de commencer à agir pour créer progressivement l'Union européenne, c'est-à-dire une union politique qui soit engagée pour approfondir, bien sûr, les politiques économiques communes, mais aussi pour promouvoir une politique extérieure commune et une politique commune de la sécurité, donc pour entreprendre en commun des initiatives d'ordre diplomatique et stratégique aptes à promouvoir activement la construction de la paix.

Merci donc d'obliger nos gouvernements, notre Communauté, nos peuples à considérer que ces politiques communes nouvelles ont besoin d'instruments communs de décision et d'action. Toutefois, Messieurs les ministres, que vous avez été, dans cette initiative, des hommes de peu de foi, des hommes de peu d'imagination ! Je n'ai pas oublié, Monsieur Genscher, qu'il y a six ou sept ans, vous avez convaincu votre parti à s'engager pour une Assemblée constituante européenne. Mais vous l'avez peut-être oublié. Plus récemment, le 26 novembre 1980, quand vous avez commencé à parler de cette relance de l'Union politique européenne, vous avez prononcé au Bundestag les mots suivants: «Je n'ai pas l'impression que les impulsions à s'occuper d'un projet de constitution pour l'Europe puissent venir des gouvernements nationaux. Elles peuvent venir seulement du Parlement européen directement élu». Lorsque vous avez prononcé ces mots, vous saviez que l'initiative du «club du Crocodile» était en marche dans ce Parlement. Et je veux bien reconnaître que le Parlement est coupable d'avoir été trop lent à assumer cette tâche... Mais il l'a enfin assumée, et sous peu il va se mettre au travail. Mais vous, Monsieur Genscher, vous n'avez pas eu la patience. Vous avez vite fait de perdre votre foi dans le Parlement. Vous avez vite fait de confier à vos diplomates la tâche de rédiger cet acte. Et vous avez reçu d'eux ce que vous-même vous aviez prévu : ils vous ont, en effet, offert et fait avaler une nième variante de collaboration intergouvernementale.

(Applaudissements sur certains bancs)

Vous connaissez le proverbe qui dit que « la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu'elle a ». Vos diplomaties ne le peuvent pas davantage. Je reconnais que, dans l'immédiat, vous n'avez à votre disposition que cette coopération intergouvernementale et que c'est avec elle que vous devez agir pour affronter les problèmes internationaux les plus brûlants. Mais nous vous demandons d'être bien conscients de ce qu'il y a de provisoire, d'aléatoire et de fragile dans cette méthode. Ne venez pas nous dire que, dans cinq ans - vous aviez dit, au commencement, trois ans, mais ils sont devenus déjà cinq ans - le Conseil, à la lumière de l'expérience proposera si nécessaire un traité pour consolider l'union... Dites plutôt qu'il n'y a pas d'expérience à faire, que pour ceux qui veulent entendre, tout est bien connu dans cette matière, mais que vous ferez votre possible pour maintenir cette coopération incertaine et fragile, pour donner au Parlement les deux ans, deux ans et demi nécessaires pour préparer le projet de loi fondamentale de l'Union européenne et le soumettre à la ratification des États membres. Dans ce cas, le Parlement européen, au nom du peuple européen qui l'a élu, applaudirait sans réserve à votre initiative, se sentirait encouragé à accélérer son travail constituant pour venir le plus tôt possible à votre aide dans votre tranchée qui est, à la longue, intenable. Et vous auriez bien mérité de l'Europe.

Je voudrais aussi dire à M. Colombo - qui est absent - qui se considère l'héritier de l'esprit européen de de Gasperi, que je lui demanderai, à lui aussi, de savoir faire preuve de la ténacité que de Gasperi a eue pour faire des propositions analogues à ses collègues.

Mais, Monsieur le ministre, c'est de ce Parlement, qui est la seule institution ayant le droit de parler et de proposer au nom du peuple européen qui l'a élu, que vous devez attendre l'avenir de l'Europe, et non pas de vos propositions interministérielles !

J'ai dit, en outre, que vous avez manqué d'imagination. Vous avez en effet compris que, provisoirement, et dans les plus brefs délais, nos gouvernements doivent coopérer pour avoir un minimum de politiques communes, ici et là, mais enfin, disons-le clairement, surtout une politique commune en matière de sécurité. Et vous avez compris que vous ne pouvez pas vous borner à en proclamer la nécessité mais que vous devez le faire avec un minimum d'efficacité. Or, dans votre acte, vous allez chercher l'efficacité dans une multiplication de conseils, de comités, de sous-comités, dans un secrétariat saugrenu à structures et sièges variables, c'est-à-dire dans une multiplication de corps et de corpuscules, tous de la même qualité intergouvernementale. Et puis, quand tout aura été trituré et digéré par ces comités et conseils, chaque État, selon vous, ferait son compte de l'acquis politique.

Messieurs les ministres, n'avez-vous jamais entendu dire que, pendant la première et la deuxième guerre mondiale, les alliés - se trouvant dans une situation d'urgence qui les obligeait à avoir une politique militaire commune sur les fronts de guerre, une politique commune de ravitaillement, un contrôle commun de leurs monnaies - ont décidé, par des actes analogues aux vôtres, sans formalités juridiques, sans engagement institutionnel, sans préjugés pour l'avenir, de nommer un Foch, un Eisenhower, un Monnet pour être leurs plénipotentiaires en la matière. C'est ce que vous devriez proposer pour faire avancer vos initiatives dans la situation actuelle, provisoirement, sous la forme de collaboration entre les gouvernements.

(Applaudissements)

"

Voilà donc la réponse de Spinelli qui ne se prive pas de remettre Genscher et Colombo à leur place tout en citant de Gasperi - qui comme Gaspard pour les Rois Mages est le Père Fondateur de l'Europe dont tout le monde oublie le nom - sans oublier le clin d'oeil - presque cynique - à Jean Monnet. Car dans le premier puis le dernier passage que j'ai accentué, c'est non seulement le Plan d'Acte mais toute la Méthode Monnet que Spinelli bombarde à boulet rouge. Ce court discours permet, à mon sens, de bien saisir le point de vue d'Altiero Spinelli sur sa vision du fédéralisme européen, une vision qui marque profondément mon univers bien que, paradoxalement, je n'aie jamais vraiment ouvertement appuyé l'héritage de Spinelli - et je compte bien remédier à cela dans ma relecture de "Europae" qui devrait, bientôt je l'espère, trouver son chemin vers les piles de lectures de maisons d'éditions dans de nouvelles souscriptions....

Mais je voudrais conclure cet article sur une autre citation de Spinelli, qui résume tout en quelques mots :

"Jean Monnet a le grand mérite d'avoir construit l'Europe, et la grande responsabilité de l'avoir mal construite."

samedi 3 décembre 2011

Aachen VS Europæ : Visions croisées des Etats Unis d’Europe

Je bats le fer tant qu’il est chaud et vais, comme promis, m’atteler à un traitement plus comparatif de mes impressions sur « The Aachen Memorandum ». Comme je l’ai dit, j’ai adoré et détesté le livre, à parts égales, et dans cet ordre. Et si la première moitié à été, je l’admet, particulièrement jouissive, c’est parce que sous couvert d’exposition, Andrew Roberts nous dépeint en détail ses Etats Unis d’Europe, ils nous invite à nous y promener et à y vivre, comme Orwell dans « 1984 », ou même Harris dans « Fatherland ». D’ailleurs, et c’est là que je reconnais un lien de parenté entre Aachen et le roman de Robert Harris, Aachen est riche d’une précise description du Londres fédéral, avec ses noms de rues et de places changés pour être « de bon ton » et plus « européen » (Plus aucune allusion à de quelconques victoires sur nos « concitoyens et compatriotes européens »), ses statues troquées pour Jean Monnet, etc. Nous avons droit également à une sympathique chronologie, révélée par petites touches, de l’adoption de l’Ecu à l’assassinat de Thatcher devenue symbole de la résistance – et dont le meurtre des plus étranges est le JFK européen – qui donne bien le ton des sympathies, comme le relevait très justement Kevin dans son précédent commentaire, c’était la période. La date de rédaction soumet parfois le texte à quelques anachronismes savoureux, comme l’ecu que je citais plus haut. Pour les moins au fait de la construction européenne, ECU était l’un des noms de projets d’une monnaie européenne unique, et si la référence à l’écu romain est assez évidente et a fait couler beaucoup d’encre amère, la signification officielle d’ECU était European Currency Unit, soit Unité Monétaire Européenne. « Euro », apparemment, sonnait plus passe-partout, sauf en Grèce où, prononcé à l’anglaise, ça veut dire « urine ». On ne peut pas gagner à tous les coups, mais je m’égare. Dans « Aachen », l’ecu est introduit en 2006, il faut croire que Roberts n’a pas été assez pessimiste, et il est souvent question de « l’ecu d’abord souple, puis dur », et comme ce n’est jamais vraiment développé, une analogie avec l’évolution actuelle de la Zone-Euro me semble intéressante pour le côté « prophétique », je lui concède ça. Tout en notant mentalement que 2006 fut donc, quoi qu’il en soit, une année faste ! Mais comparons en diagonale nos deux fédérations européennes avant de nous attacher au traitement.


Son Europe est très proche de l’Union Actuelle, les institutions n’ont pas changé et le pouvoir est aux mains de la Commission. Les commissionnaires y sont les oligarques tout-puissants qui pistonnent et dirigent depuis leur Tour d’Ivoire bruxelloise, téléguidés et/ou noyautés par le lobby pangermanique qui tire les ficelles de tout le monde grâce au « Bureau Berlin-Bruxelles », une organisation semi-secrète. Le Parlement supplante les parlements régionaux ( « national » est un terme « découragé » par les Directives européennes ), mais n’est qu’un tremplin pour la Commission, une antichambre du pouvoir, et pour clore le débat stérile qui défraye encore et toujours la chronique, il est situé à… STRASBOURG. En même temps, un eurosceptique britannique décrit une Europe dystopique… C’est clairement un pouvoir centralisé et coupé du peuple qu’il manipule cependant par la télévision ( en usant notamment des suggestions subliminales ). Pas de langue officielle mais l’Allemand est pratiqué même entre non-allemands par effet de mode ( et de manipulation ).

L’Europe de mon univers uchronique est décrite en plusieurs temps, ce qui me donne un avantage, mais majoritairement c’est un système fédéral où le Parlement Européen se partage le pouvoir avec un Gouvernement Européen et la Commission, subordonnant les parlements régionaux qui continuent d’avoir toute autorité sur les affaires régionales. L’ensemble est surveillé par un Conseil Constitutionnel. Le déséquilibre finira par se créer lorsque le Parlement, organe central, sera supplanté par le Gouvernement et son chef : Le Président des Etats Unis d’Europe. La manipulation de la masse se fait par désinformation ( pas de gadgets hypnopédiques ou subliminaux ), l’utilisation massive de propagande ajoute une touche patriotique à l’ensemble. La langue officielle est l’Européos, un anglais bâtard intégrant divers éléments européens. C’est une langue nouvelle et artificielle.

Les E.U.E. de Roberts sont fondés sur le Traité de Aachen validé par le Référendum (falsifié) de Aachen. Dans Pax Europæ, le texte de réforme de l’Union Européenne menant à un projet fédéral est voté au sein du Parlement Européen, l’acte de fédération validé par référendum également – le résultat étant chez moi tout à fait authentique. Certains pays au sein de l’Union sont démantelés dans l’Europe d’Aachen, chez moi certaines régions de Russie font sécession pour rejoindre la Fédération. Dans Aachen, la Suisse est plus ou moins forcée par Bruxelles d’intégrer la fédération, chez moi la Suisse est forcée par les circonstances. Chez Roberts, le territoire autonome balte est soumis à des troubles dus à une résistance, tout comme en Angleterre. Chez moi, le défédératisme est partout et la révolte civile gronde dans toute la fédération. A noter que l’Europe d’Aachen utilise des camps de prisonniers politiques en Finlande, quand je préfère de bonnes prisons conventionnelles. A ce stade, je dirai que l’Europe d’Aachen est une Union Soviétique que les Allemands appellent entre eux le Reich, je pense que je n’ai pas besoin de développer, quant à ma fiction, ce blog est là pour développer. Quelques mots de vocabulaire et concepts spécifiques méritent toutefois qu’on s’y arrête quelques instants :

Etats Unis d’Europe : Oui, la formule n’est ni neuve ni originale, mais quand certains jouent sur les mots « fédéral » ou « confédéral », voire conservent simplement le terme Union Européenne ( cf. Brian Aldiss dans « Super-Etat »), Roberts tape dans le mille comme il aime à le répéter lui-même, pas de langue de bois, soyons honnêtes. Là où ça devient intéressant, c’est dans sa dénomination des « Etats » en question :

Régions Européennes : Alors que le terme « États Unis » implique des Etats, Roberts utilise l’appellation « région », comme je l’ai fait par la suite. J’avoue que j’ai été surpris de voir ce nom utilisé, surtout étant donné qu’il aime a détourner le vocabulaire existant ( les directives européennes notamment ), je me serais attendu à District ou autre chose de ce genre, mais non. Pour Roberts, il est clair que c’est destiné à tuer la notion même d’Etat Nation, la Grande Bretagne est démantelée en plusieurs Régions, il n’y a plus d’Etats unis ou désunis, il y a Bruxelles. Mes propres motivations sont diverses : D’un côté la volonté de ne pas utiliser le terme Etat Français, Etat Allemand, car je voulais que cela ne sonne pas directement USA, et bien que ma fédération s’inspire principalement du système fédéral allemand, traduire « Länder » revient à dire « Etats ». Quant à utiliser le terme « Land » lui-même, c’était hors de propos afin d’éviter tout pangermanisme. Le discours de Victor Hugo que j’ai maintes fois cité où le romancier créé un parallèle entre la construction de la France par l’union de ses régions et la construction de l’Europe a débloqué la situation : Mon lectorat étant français, le mot « région » devenait une alternative claire, compréhensible, exprimant cette idée de peuple européen partageant divers régions géographiques, sans connotation américaine distractive.

EuroNet : J’ai été à la fois surpris et non surpris par cette utilisation. Non surpris car j’ai déjà vu, a posteriori, ce terme utilisé par des compagnies. Surpris, car c’est la première fois que je le vois associé à une fiction sur l’Europe. Vous connaissez cette sensation de vous faire damer le pion de même que l’impression irrépressible d’entendre par avance les commentaires sur « Comment vous avez tout pompé ailleurs » ? Je l’ai déjà ressenti auparavant, lors de la sortie d’Endwar, et je me suis consolé en me disant que j’avais la chronologie pour moi, mais là, j’étais grillé de presque dix ans. Non pas qu’Euronet soit un nom très original, mais tout de même. Toutefois, et cela m’a au final sauvé mon plaisir, EuroNet (Aachen) est simplement l’Internet européen, il n’a aucune autre prétention ni utilité. Euronet (Europæ) est d’abord un réseau militaire crypté essentiel au déroulement de l’intrigue et dont une partie, seulement, est accessible aux civils.

La carte d’identité européenne à puce : Encore une fois, le concept n’est pas nouveau. Le « héros » de Roberts réalise en cours de route que son ID n’est pas seulement son « ami » mais aussi un mouchard qui lui sert de carte d’identité, de carte de crédit, de certificat d’assurance, de casier judiciaire, de dossier médical, de carte de fidélité, de ticket de parcmètre, de carte d’Euro-loterie (il a vu venir l’Euro-Million…) de clef de voiture, d’appartement, etc. Roberts tartine un long passage dessus et j’ai cru qu’un vrai traitement sur le flicage allait commencer, mais l’intrigue suit son cours et on n’y revient peu ou prou, donnant l’impression d’avoir seulement ajouter une brique de plus à l’odieux rempart de la citadelle maléfique de Bruxelles. J’aurais apprécié un vrai décorticage de ce danger réel, quitte à dénoncer la chose sur presque deux pages. Mon approche de la chose n’a pas été trop ambitieuse, car ce n’était pas le sujet et j’ai déjà fait assez de digressions dans Pax Europæ. Dans un des tous nouveaux passages ajoutés par le découpage de la tétralogie en huit tomes, Michael Kith, journaliste fouineur, est amené à craindre de se voir arrêter à cause de sa carte, et j’en profite pour en expliquer le fonctionnement. Je ne pousse pas le vice aussi loin que Roberts ( pas de clef de voiture ou de ticket de loto ), mais Kith se dit que le groupe sanguin et le dossier médical, le choix pour le don d’organes, etc., ont déjà sauvé des vies au cours d’accident, et que cette carte à puce est un outil, et comme n’importe quel outil, il n’est pas mauvais en soit, tout dépend de ce que l’on en fait. Par ailleurs, ma carte d’identité européenne est inspirée de la carte d’étudiant de l’Université de Strasbourg, qui est également votre carte de Restaurant Universitaire, d’abonnement de tramway/bus, de bibliothèque, une carte monéo… Puce, bande magnétique et code-barre inclus.

Mais derrière des appellations communes et des idées communes qui sont indubitablement le fruit d’inquiétudes communes, les Etats Unis d’Europe d’Aachen sont très différents des Etats Unis d’Europe de Pax Europæ. Cela tient à un facteur qui va sans dire mais qui va mieux en le disant : Je ne cherche pas à démonter l’idée de fédéralisme européen, mais à le promouvoir de façon critique. C’est peut-être prétentieux, mais dans le marasme eurosceptique et complaisant qui m’entoure depuis des années et ne s’arrange guère avec le temps, c’est ma façon à moi, je suppose, de faire preuve de cette conscience politique dont parle Kevin. Andrew Roberts n’a qu’un seul objectif en tête, nous prouver qu’une Europe fédérale, c’est mal. Mais même lorsque nos inquiétudes sont similaires, lui et moi divergeons sur le traitement tout comme sur l’énoncé du problème lui-même. Lorsque je critique l’« euro-tout » qui vise à nous unir artificiellement ( une crainte partagée comme on l’aura compris ), je crains pour les diversités culturelles, les langues – toutes les langues européennes – le melting-pot forcé et sans saveur qui, à force de mélanger des épices de tout le continent finit par tuer le goût de celui qui y goûte, l’ultra-laïcité qui opprime la religion en l’accusant de tous les maux et toutes les divisions. Roberts, lui, crie à la mort de la nation britannique, de la langue britannique, de ses fish & chips et de sa chasse à cours. Tout ça à cause des Allemands fachos et des Frogies qu’on ne peut plus appeler librement frogie parce que ce n’est pas politiquement correct, c’est un scandale. Heureusement, pour manifester le plaisir et l’euphorie de pouvoir crier son appartenance à un groupe, il reste le football, mais le maléfique Bureau Berlin-Bruxelles va bientôt supprimer les matchs inter-régionaux, éradiquant le dernier ersatz de guerre entre européens, diantre ! Mais où est le plaisir dans cette Europe fédérale ? Bref, sur la question de l’abandon des identités et des particularismes, mon point de vue diffère très radicalement de celui de Roberts, de même que le traitement, qui chez moi n’est pas aussi frontal. Il l’est au début, à travers le personnage du soldat Erwin Helm, fédéraliste critique, qui se sent seul au milieu d’une armée de moutons européens, ou de Kith le journaliste blasé, plutôt habitué à fréquenter les défédératistes, mais qui paradoxalement ressent plus ou moins la même chose. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le tome 1 de l’octalogie se nomme désormais « Certitudes », beaucoup de personnages sont persuadés d’être tout seul à voir le monde tel qu’il est vraiment, ayant des opinions et avis différents mais, en fin de compte, tirant le même bilan des Etats Unis d’Europe. Pourtant, au fur et à mesure des rencontres et des nouveaux points de vue, la critique acerbe et monochrome se dissout dans le récit avec d’autres visions, plus positives, plus nuancées, et c’est ce que je reproche à « The Aachen Memorandum ». Il n’a aucune nuance.

Oh, bien sûr, il tente le coup, et la scène est d’ailleurs rendue dramatiquement pathétique par cette tentative vouée à l’échec. Pourquoi ? Parce que le personnage principal a la possibilité de révéler un scandale qui détruirait les Etats Unis d’Europe, libérant la Grande Bretagne de ce joug qu’on a désormais bien compris tyrannique (qui rime avec germanique), mais il se met à douter à la dernière minute. Il n’a jamais connu que les E.U.E., le Royaume Uni ne représente rien de concret à ses yeux, l’Union Jack n’est pas son drapeau, contrairement à la bannière bleue aux étoiles d’or qui a bercé son enfance… Moi-même j’expose mon personnage au même dilemme, encore un parallèle, décidément. Où réside donc la différence ? Simplement au fait que, contrairement à Erwin Helm, Horatio Lestoq n’a jamais montré la moindre sympathie pour l’Europe fédérale, il l’a critiquée en long en large et en travers, en public, en privée, l’a parfois descendu en flammes, ne lui trouve jamais rien de positif, tout est à vomir, ah le bon vieux temps qu’il n’a même pas connu était quand mieux avant. Et soudain, probablement pour tenter de faire monter la tension en nous faisant croire – vilain farceur – que Horatio va retourner sa veste à la dernière minute, Roberts tente le coup. Le drapeau, l’hymne, les souvenirs d’enfance, on y a droit. Le problème, en dehors du fait que ça ne colle à aucun passage du personnage, dialogue ou narration, des 250 premières pages, c’est que l’auteur ne parvient même pas à être crédible l’espace d’un paragraphe pour dire du bien de la fédération européenne. L’Hymne qui a une vraie place dans le cœur d’Horatio ? Ah, il se souvient comment on lui a fourré dans le crâne dans les dortoirs durant ses études (référence à Huxley et l’hypnopédie ? Le dialogue sur le cinéma « réel » sensoriel tend à me le laisser penser comme d’autres éléments sporadiques tels que les suggestions subliminales, il y a un véritable volonté de s’ancrer dans cet héritage). En plus, la mélodie l’agace, et depuis le début du livre, qui plus est ! Le drapeau ? Plutôt un logo, se dit-il. Etc., etc. Roberts n’y parvient pas, rien de ce qu’il tente pour nous convaincre qu’Horatio a une petite faiblesse pour les E.U.E., par habitude ou réelle affection, n’est convaincant, car rien n’est positif. Rien n’est à sauver, tout à jeter. Cette rallonge grotesque tue le climax car elle sacrifie la détermination du personnage qui montait jusque là en puissance, tout ça pour essayer vainement d’apporter une nuance qui n’existera jamais tout au long du livre.

J’expliquais dans un précédent article que certaines ficelles se devaient d’être utilisées et que je n’hésitais pas à avoir recours à de bons vieux trucs et astuces qui, à mon sens, sont comme le cube de Maggi dans l’eau des pâtes : Ce n’est pas forcément de la grande cuisine, mais ça donne le bon goût qu’on aime. Roberts, lui aussi, est adepte des vieux pots aux bonnes soupes, mais parfois il en fait un peu trop. On n’échappe par exemple pas à « Je suis ton (grand)-père » et « L’héroïne que tu essayes de te taper t’ais tapé est ta sœur ». A la rigueur l’un ou l’autre, mais pas les deux dans le même livre… Un personnage possède un traitement assez proche d’Elsa Schneider dans Indiana Jones et la Dernière Croisade, Horatio abusant des « Comment j’ai pu marcher avec ce simple artifice ? ». Le Complot Allemand est d’ailleurs accompagné de multiples retournements de situations et de personnages à la Mission Impossible qui devient vite indigeste. J’ai moi-même quelques vestes à retourner en cours de route mais je ne suis guère partisan des cinq twists par chapitre, trois chapitres avant la fin, et préfère la diffusion lente pour ne pas essouffler/lasser le lecteur. Je regrette simplement que, dans « Aachen », les méchants et traîtres n’aient jamais de raison expliquant leurs positions autre que « Ce sont les méchants et ils veulent tuer la gentille ». Je noterai cependant une riposte fort agréable, malheureusement sans conséquences : lorsqu’on lui demande pourquoi un personnage trahit ses potes pour servir les Aryens ( terme utilisé une fois ou deux pour décrire un blond aux yeux bleus, brute et stupide ), il répond « Je ne sais pas si tu as remarqué, mais certains essayent de construire un pays ici. » MERCI ! Voilà qui aurait été digne de développer deux pages entières de réflexions, et non une soi-disant hésitation pas crédible pour un sou ! Opposer l’idée d’Etat Nation à celui de Fédération Européenne, le nationalisme à l’européisme, les concepts de communautés ethniques, linguistiques, politiques, idéologiques… Voilà qui aurait été passionnant. Pas le complot taillé sur mesure pour Robert Langdon. Et voilà l’orientation sur laquelle j’essaye de me fixer.

Le fédéralisme est comme la carte à puce européenne de ces deux visions du futur, un outil, qui n’est en soi ni bon ni mauvais. Un système politique capable de répondre aux défis qui attendent l’Europe demain, aujourd’hui. Mais son succès ou son échec dépend des hommes et femmes qui le mettraient en place, puis de ceux qui l’entretiendraient. C’est le fil conducteur de Pax Europæ, et en cela, malgré les nombreux parallèles existant entre mon univers et « The Aachen Memorandum », du vocabulaire aux thématiques en passant par les lieux communs de l’écriture dramatique, il y a un fossé immense qui me sépare de Andrew Roberts dans mon développement des Etats Unis d’Europe. Lorsque j’ai commencé à dévorer le livre, je me suis posé la question : A quoi bon me faire suer, ce type a déjà dit l’essentiel ? Quand j’ai refermé le roman, je me souvenais soudain très exactement pourquoi je me devais d’écrire Pax Europæ.

PS : Non traduit en français, Aachen a toutefois eu les honneurs de traductions néerlandaise et... allemande (portant la mention euro-thriller... un genre à part ? Pourquoi pas...)

mercredi 30 novembre 2011

The Aachen Memorandum : Euroscepticisme entre fiction et réalité

L’actualité française récente et les débats sur le retour en force d’une Europe Allemande m’ont fait hésiter un moment. Dois-je écrire un article pour exorciser ce cri de colère et de désespoir qui me vient quand je vois les nationalistes de gauche comme de droite torpiller une nouvelle fois la construction européenne, comme Charles de Gaulle l’a fait avec panache et efficacité en sabordant la Communauté de Défense Européenne ? Faut-il rappeler dans un long billet comment ils congratulent quand ils convainquent l’Allemagne de payer pour les autres à force d’impôts qui feraient pâlir les râleurs français ? Faut-il souligner que les « intérêts allemands » ne sont pas réellement dans le sauvetage de l’Europe, surtout face à l’opinion publique allemande qui en a plein le cul et les élections qui approchent ? Ou la lâcheté des politiques français qui soufflent le chaud et le froid et chargent le Grand Ennemi quand vient la débandade pour se laver les mains ? Oui, j’y ai pensé, puis, le hasard a voulu que je lise précisément aujourd’hui le livre de Andrew Roberts « The Aachen Memorandum ». Et c’est fort heureux, car je vais pouvoir répondre à cette hypocrisie ambiante et que trop familière en parlant d’une œuvre de fiction – Après tout, c’est l’essence même de Pax Europae.

Tout d’abord un petit résumé introductif sans grandes révélations. Nous sommes en 2045, en Région Anglaise, Etats Unis d’Europe ( Les familiers de ce blog comprenne à présent mon intérêt massif pour cet ouvrage. Il y a énormément d’éléments et de dénominations communs dans le roman de Roberts et mes propres fictions). Alors qu’on s’apprête à fêter les 30 ans du Référendum d’Aachen qui a fédéré l’Europe une bonne fois pour toute, et que le prétendant au trône d’Angleterre fait son premier voyage en terre britannique depuis l’exil de la famille royale, un antihéros obèse et asthmatique va se voir attribuer par le destin – et une intrigue échevelée – l’insigne honneur de révéler à ses compatriotes que le résultat du scrutin en Grande Bretagne a été falsifié. Les Etats Unis d’Europe sont bâtis sur une Fraude.

Yeah, dis comme ça, j’imagine que ça sonne encore très bien, et pour être honnête, la première moitié du roman est tout bonnement géniale. C’est George Orwell décrivant la fédération européenne. Tous les thèmes eurosceptiques y passent, de la bureaucratie kafkaïenne ploutocrate et délibérément obscure au politiquement correct à l’excès en passant par l’oligarchie, les mafias et la corruption. Et tout cela, décrit comme un « 1984 » moderne, avec les mêmes techniques, les mêmes tics, les mêmes ficelles. L’intrigue est souvent téléphonée, du coup, mais l’ambiance est digne de ’84, du « Meilleur des Mondes » ou de « Nous Autres ». On passe beaucoup de temps à simplement décrire l’environnement et la société européenne fédérale, ses travers et ses vices cachés. Et ça marche diablement bien, c’est corrosif et plutôt pertinent, même pour un europhile comme moi. Ses critiques sont des points noirs bien connus exagérés comme il se doit, et j’ai adoré. Les Directives pour tout et n’importe quoi, le « vocabulaire désigné » pour éviter les discriminatoires de tous genres qui sont toutes sévèrement – et souvent absurdement – punies par la loi, comme la galanterie qui compte comme du sexisme aggravé. On n’échappe pas aux critiques/clichés typiques des eurosceptiques britanniques ( la chasse à court, notamment ), mais dans l’ensemble ça se tient jusqu’à la moitié du roman. Toutefois, l’auteur lance alors pleinement son intrigue et se révèle alors aux yeux du lecteur ce que Roberts avait jusqu’ici astucieusement dissimulé derrière une satire intelligente : Un nationalisme bien dur, teinté de xénophobie et de gros clichés, totalement et indiscutablement manichéen. Le texte en est tellement chargé qu’un vague sentiment de malaise nauséeux persiste lorsqu’on a refermé la couverture rigide. Cette même impression maladive qui me prend lorsque je vois les politiciens et intellectuels français se donner l’accolade en blâmant l’Allemagne et en lui collant « une totale responsabilité » sur le dos. Je m’explique :

La manipulation scandaleuse du Referendum est peut-être fictionnelle, mais la fraude authentique et véridique est à mon sens la défense biaisée du nationalisme dont Roberts se fait le héraut. Je n’ai rien contre une exposition d’opinion tranchée du moment qu’elle reste argumentée, et le problème de Andrew Roberts, c’est qu’il perd toute crédibilité dès lors qu’il essaye de nous convaincre des bienfaits d’un « patriotisme décent et d’un nationalisme  responsable et respectable» dixit l’héritier du trône d’Angleterre lui-même. Pourquoi ? Parce qu’il biaise le débat de fond sur les conséquences directes du nationalisme et particulièrement des Etats Nations, à savoir la xénophobie, la guerre, l’impérialisme totalitaire, etc. Car tout ceci n’est pas le fruit du nationalisme véritable mais… des précurseurs du fédéralisme ! Et comment mieux justifier cette brillante théorie que d’associer dans un cours d’école primaire, parmi les Grands Unificateurs de l’Europe, Charlemagne, Louis XIV, Napoléon, Hitler, et Jacques Delors ! (Liste non-exhaustive. Si le livre n’avait pas été écris en 95, vu le sors réservé à Delors tout au long du livre je n’ose imaginer le traitement infligé à Barroso) Puis dans un émouvant discours du Prétendant au Trône de rappeler comment Sir Churchill a bataillé ferme pour empêcher toute intrusion d’un système politique ou d’une institution étrangère durant la WW2… oubliant le revirement sympathisant-fédéraliste-mais-néanmoins-pragmatique du Sir en question qui formula, lui aussi, l’expression Etats Unis d’Europe comme avenir du continent comme j’en parlais déjà dans un précédent billet. Cette europhilie tardive, revirement dans la politique de Churchill après-guerre, n’est jamais évoquée alors que le nom même de la Résistance Anglaise fait référence à sa prise de pouvoir (Dix Mai). Il y a également l’exemple des hooligans, oui, l’auteur a osé. Il faut une grosse paire de Balls, n’est-il pas, pour affronter à un contre dix des forces mieux armées et mieux organisées ( la police ) afin de résister aux provocations des supporters allemands qui scandent des insultes fascistes ( à savoir que les anglais ont toujours été et seront toujours des esclaves). Le hooliganisme, un pur élan de patriotisme glorieux ( et sans doute responsable et respectable ). Mais c’est pour défendre les idéaux de liberté de la Couronne (Colonies ? Injustices dans le Common Wealth ? Jamais entendu parlé. D’ailleurs le roi a trouvé refuge en Nouvelle Zélande, à leur demande, il est toujours leur roi…) et la splendeur passée de son économie injustement mise à mal par les E.U.E. qui ne défend pas ses intérêts. Oui, tous les persos se foutent des intérêts des autres pays comme de l’an 40, les fédéralistes autant que les nationalistes, semble-t-il. Tout tourne autour de la Grande Bretagne, et si on peut comprendre que ce soit normal pour un auteur britannique de se concentrer sur son lectorat principal, sur un sujet comme la construction européenne et la fédération, évoquer que les pays baltes se révoltent aussi de temps en temps et que d’autres régions européennes seraient prêtes à suivre le mouvement – le leadership – c’est très léger, surtout quand on se cantonne aux eurosceptiques actuels. En cela, les commentaires en double-langage ( tiens, tiens, Orwell, encore une fois ) des Français en ce moment me donne la diarrhée : D’un côté on charge l’Allemagne qui soit-disant la joue perso et défend ses uniques intérêts en demande un pouvoir parlementaire plus grand, de l’autre on réclame un Conseil Européen fort où le Président Français est – paraît-il – écouté. Donc en gros, la France d’Abord. Dans la réalité comme la fiction, les opposants à une Europe plus unie ne défendent pas la libertés des peuples et des « démocraties nationales » mais bien leurs petits intérêts communs. Mais dites-moi, chers compatriotes français, lorsque la zone Euro se sera effondrée par votre manque de courage politique et vos coups de boutoirs nationalistes, et que l’Union Européenne suivra, dites-moi comment vous défendrez vos démocraties nationales contre les investisseurs extra-européens ? L’Europe aux enchères sur E-Bay, comme la Grèce, mais sans la Communauté comme cadre pour s’assurer des intérêts communs. Chacun pour soi, vendu séparément, et l’Europe divisée à nouveau, comme au bon vieux temps je suppose. Nous deviendront peut-être des républiques bananières pour quelques riches investisseurs asiatiques, arabes ou américains, mais nous auront notre Franc. C’est ça qui compte, dans la protection de nos libertés et de nos démocraties nationales.

Mais revenons au roman de Andrew Roberts. Tout comme dans la réalité aujourd’hui, on touche là un point qui dérive de cette défense du nationalisme sans nuance, c’est que non content de défausser les pires aberrations nationalistes sur les fédéralistes ( Hitler est mentionné dans ce contexte plusieurs fois avec insistance, de même que Vichy. Les Français ont d’ailleurs érigé une statue à l’effigie du Maréchal pour le centenaire de son accès au pouvoir suprême. Oui, oui, après tout, c’était un fédéraliste convaincu. J’aimerai que Spinelli puisse donner son avis sur le fédéralisme nazi, lui qui a forgé son européisme dans les geôles fascistes italiennes, je suis sûr qu’il serait tordu de rire, pas vous ? ), Roberts exergue ce qu’il y a de plus horripilant dans les clichés britanniques sur le reste du monde simplement pour « défier le politiquement correct ». Sur le principe je veux bien, mais tout comme K. Dick m’avait écœuré dans « Le Maître du Haut Château » avec sa xénophobie, son racisme et son antisémitisme trop souvent injustifié, d’autant plus dans un texte condamnant les nazis et les Japonais Impériaux, Roberts me tue avec sa germanophobie primaire et son mépris anti-français. C’est non seulement cliché, mais ça en devient rapidement insultant, et pour moi en tant que Français ET Allemand, mais aussi pour mon intelligence en tant qu’être humain. Car oui, je dois avouer que voir jouer une fois de plus la carte honnie de la cabale pangermanique, ça me lasse. Ça commence en douceur pour le choix de la ville phare du referendum frauduleux qui a fédéré l’Europe : Aachen, ex-capitale de Karl der Grosse. Puis on évoque la mode parler Allemand entre non-allemands et là, déjà, mon germanophobimètre a commencé à biper – il a de l’expérience. Puis on insiste de plus en plus lourdement sur un mystérieux Bureau Berlin-Bruxelles, une sorte d’organisation secrète et officieuse. Puis on révèle que, lorsque certains pays ont été démantelés comme la Grande Bretagne, ce fut aussi le cas de la Pologne, dont la partie ouest a intégré… Grossdeutschland ( et je ne plaisante pas, c’est écris tel quel). Puis on nous dit que les Allemands ont téléguidé les fédéralistes pour prendre le contrôle de l’Europe sans guerre, cette fois, mais par la ruse ( L’Allemand est fourbe, il sourit comme s’il était poli mais il ne l’est pas. Madame, si vous reconnaissez vos paroles, je vous salue bien bas avec mon plus grand sourire ). Enfin, et si tout ceci n’était pas assez clair, on nous affirme – puis confirme ! – que les Allemands aiment à appeler les Etats Unis d’Europe, lorsqu’ils pensent qu’on ne les entend pas… oui, vous avez deviné, ils aiment à appeler l’Europe : Le Reich. De Charlemagne à Hitler en passant par Kohl et tous leurs amis collabos français, la construction de l’Europe EST indiscutablement une cabale germanique pour le contrôle de l’Europe. Roberts va même jusqu’à nous sortir le coup de la traîtresse qui se révèle être une teutonne fourbe et vicieuse, qui nous donne du Jawohl mein Herr de bonne figure au final pour bien faire comprendre que les Grands Méchants sont, encore une fois, les Allemands, tout ça pendant que le futur roi d’Angleterre nous chante haut et fort les louanges du nationalisme retournant glorieusement en Angleterre. Désolé, mais je me sens insulté, quelle que soit mon origine. Le roman commence comme George Orwell et se conclut comme Dan Brown. Et ce n’est pas un compliment.

Et ce problème de peur de voir revenir le « Spectre d’une Europe allemande » me tue. Combien de décades – de siècles ? – faudra-t-il pour qu’on nous lâche avec ce refrain réchauffé ? Quand j’entends demander à l’Allemagne de revenir à sa sagesse d’après réunification, monsieur Attali et Consorts avec tout le respect que je vous dois, cela veut-il dire « Travaille, paye et tais-toi » ? C’est ça votre idée de la sagesse allemande dans une Europe raisonnable ? Dans « The Aachen Memorandum », Roberts commet la même faut de goût irréparable à mes yeux : Parler de l’avenir de l’Europe du XXIème siècle le regard braqué sur 1939-45, sans critique, sans recul, sans rien apprendre des décades qui nous en sépare aujourd’hui. Et sans regarder le monde autour de nous, comme s’il allait nous attendre de toute façon. Mais il ne nous attendra pas, et s’apitoyer sur notre sort en se remémorant la larme à l’œil comme c’était mieux avant quand on pouvait encore casser du boche sans que ça soit politiquement incorrect ne fait pas vraiment avancer le schmilblick. D’autant plus quand, sous couvert d’amitié et de relations cordiales, on continue de se servir du même bouc-émissaire encore et toujours pour faire sonner les cloches de la cohésion nationale juste avant des élections cruciales. A n’en pas douter, le « Aux Armes Citoyens, le Boche ne passera pas ! » a de fortes chances d’être entendu, et j’ignore ce qui me chagrine le plus : Que les gens vont répondre à l’appel, où que les politiciens d’aujourd’hui continue à sonner le même cor sans vergogne pour protéger leur prérogatives nationales ( qui rapportent gloire et salaire ). En France le bon vieux système présidentiel tout-puissant, dans « Aachen » le fameux Roi d’Angleterre – comme si c’était l’Europe et non les parlementaires britanniques eux-mêmes qui en avaient fait une marionnette marketing.

Il y aurait tant à dire su le sujet mais je m’égare. Les passéistes réactionnaires me mettent hors de moi lorsqu’ils n’ont pas d’argument à me présenter autre que le Fantôme Pangermanique. Et « The Aachen Memorandum », aussi brillante que soit sa première partie, m’a laissé dans la bouche un goût d’amertume tenace. Bien que publié en 1995, j’entends toujours le même baratin presque 17 ans plus tard, et les ambitions hégémoniques allemandes sont à mes yeux clairement devenues le "Protocole des Sages" de l'Union Européenne. Un mythe qui va durer encore, et encore, aussi longtemps qu'un bouc-émissaire sera bienvenu.

Pouvez-vous faire plus malveillant ?

PS : Je reviendrais toutefois sur The Aachen Memorandum dans un article sur l’Europe fédérale elle-même, telle qu’elle y est décrite, ses nombreuses ressemblances avec ma propre vision, et nos divergences majeures.

PS2 : Et contrairement a ce que proclame la couverture présentée ici, je n'oserai pas comparer Aachen à Fatherland, loin de là.

samedi 12 novembre 2011

L'Européos : L'Hymne Fédéral Européen, un exemple concret

Suite à l'article précédent, voici un exemple concret de l'application de la langue européenne commune : L'hymne des Etats Unis d'Europe. Les paroles correspondent à la version de l'Hymne à la Joie de Beethoven, réorchestrée pour l'UE pour devenir l'Hymne Européen ( Retiré du statut d'hymne officiel par le Traité de Lisbonne, bien que 16 Etats Membres aient insisté sur l'importance que l'hymne, le drapeau étoilé et le 9 mai représentait toujours à leurs yeux ). 



Hymn to Joy (United in Diværsity) United States of Europæ federal anðem


Part 1

Europæ’s united now

Long awaited unity !

Broþerhood let’s be our vow

Bind us in Diværsity.

No more hate and no more borders

Europæns peace is ours

For we are no more just neighbours

No more partners but broþers


From ðe chaos we have rised

Facing our Fate with fear and hope

Never be þese days forgetted

When one þink we cannot cope


 (interlude musical)



Part 2

Europæns come, stand close

Against all adværsity

Ðe twelve stars and ðe wind rose

Guide our paþ to liberty.


We are one Folk* and one Nation

One Continent in unison

Behold the days of blossom

For ideals and freedom


War haved us too long divided

Shall now triumph peace and reason

Europæ is united

Our home, our vision


Bien que folk existât en tant que « populaire » dans l’Anglais Référence, le mot Européos Folk, de l’allemand « Volk » (peuple) permet de distinguer les gens (people) d’un peuple dans le sens d’entité culturelle. L’orthographe Européos emploie un « F » pour éviter une confusion phonétique. Le sens « populaire » de l’ancien mot « folk » est transcris par le même dérivé qu’en Allemand : « Folkish »



PS : Bon, je suis bien gentil de rassembler de jolis montages et autres illustrations de Paris en ruines et de la Tour Eiffel détruite, mais moi, je l'aime bien notre Tour Eiffel, alors je lui rend un hommage avec cette photo où non seulement elle tient debout, mais en plus, elle a vraiment la classe - je ne commenterai pas le bat-signalEUH je veux dire le gyrophare dont ils l'ont équipée. Donc désolé, amoureux du Paris post-apocalyptique, aujourd'hui c'est une capitale européenne que je salue par cette illustration. Que cela soit entendu !

vendredi 28 octobre 2011

L'Européos : Les bases d'une langue à développer...

Bonjour, je ne suis pas mort contrairement aux apparences, seulement mon déménagement en Finlande est riche en, disons... rebondissements administratifs... qui m'ont pris du temps et limité dans l'écriture. Toutefois, il y a eu du progrès ces dernières semaines, dans les textes et dans le Guide du JDR ( car là non plus je ne lâche pas l'affaire ). La bêta-lecture de Kevin pour le tome 1 - Certitudes m'a relancé dans mes travaux, et j'enchaîne avec des relectures d'harmonisation sur les tomes suivants. Toutefois, j'ai pensé que donner un extrait du Guide serait intéressant à plusieurs niveaux : Premièrement, prouver que je ne me suis pas seulement roulé les pouces. Deuxièmement, donner l'occasion à mes visiteurs de donner leur avis et participer à l'expansion du background, car le sujet d'aujourd'hui est... l'Européos, cette langue commune européenne que parlent les citoyens des Etats Unis d'Europe. J'en avais déjà parlé plus tôt dans ces colonnes, mais les développements récents ont pas mal creusé le concept. Mais ces explications n'ont pas vocation d'avoir inventé l'intégralité de l'Européos, et certaines idées pourraient être ajoutées, améliorées, c'est pourquoi plus que jamais, si vous avez des commentaires à émettre sur ce qui suit, n'hésitez pas à m'en faire part !

L'Européos

Parallèlement, en vue d’une unité culturelle européenne, le Parlement vota une loi fin 2007 sur la nouvelle langue européenne : des centaines de professeurs ès Lettres et spécialistes européens de linguistique furent appelés à plancher sur le projet. Si l’anglais restait une base solide, ils avaient ordre de l’enrichir de vocabulaire européen et d’adapter la grammaire aux besoins phonétiques de certaines Régions, tout en simplifiant les orthographes et réduisant considérablement le nombre d’exceptions, de mots invariables et de verbes irréguliers. Le programme prévoyait qu’en cinq ans, des centaines de milliers de professeurs de cette langue baptisée Européos devaient donner leurs premiers cours au plus jeune âge, et qu’en deux générations la population européenne parlerait cette même langue d’un bout à l’autre de l’Europe. Les premiers enseignants avaient pour tâche de faire de l’Européos une langue à coefficient égal à la langue régionale dès le primaire : ainsi en dix ans l’Europe voyait sa première génération parfaitement bilingue. L’engouement pour cette langue nouvelle provoqua de nombreuses créations de sites Internet et de cours particuliers, encouragées par les campagnes de popularisation qui en firent un véritable phénomène de mode. 

Altérations de mots existants et extension de l’alphabet
Certains mots furent cependant modifiés pour devenir propres à l’Européos. Initialement ce ne devait être le cas que d’un seul nom : Europe. L’orthographe variant d’une langue régionale à l’autre, les linguistes travaillant sur une langue européenne eurent pour consigne de créer un mot générique qui ne soit pas identique à celui d’une langue européenne existante pour éviter un favoritisme involontaire. Ce fut finalement en utilisant les terminaisons les plus courantes, le « a » et le « e » (Europa, Europe…) que fut créé le mot Europæ, où ces terminaisons furent fusionnées, comme symbole de l’Européos qui devait unir les langues européennes et permettre aux citoyens des Etats Unis d’Europe de se comprendre dans chaque branche de la Rose des Vents. Suivant cette règle, le caractère « æ », couramment utilisé en danois ou en islandais, fut utilisé dans d’autres mots et devint une lettre courante de l’alphabet Européos. La lettre æ devint rapidement une sorte de logo pour l’Européos, comme l’@ symbolise internet. Ainsi, dans les abréviations de documents officiels, (Æ) indique que l’information se doit d’être rédigée en Européos.

Une fois le principe de l’intégration d’un nouveau caractère parfaitement intégré, il fut appelé à être réemployé dans le cadre de la simplification de l’Anglais. L’exemple le plus marquant et qui divisa bien des Européens lors de l’introduction de la Langue Commune fut l’intégration des lettres islandaises þ (Þ) et ð (Ð), qui remplacent tous deux le « th » anglais qui peut être prononcé de deux façons différentes.

La lettre þ (majuscule : Þ) correspond en islandais au son de This, plus proche d’un Z.

La lettre ð (majuscule : Ð) correspond en islandais au son de That, plus proche d’un D.

A cause de l’intégration de mots d’autres langues, certains sons jusque là absents de l’Anglais Référence ont dû être intégré comme le son « j ». La lettre « j » étant prononcé « dj » en anglais, « r » en espagnol, plus ou moins « i » dans la plupart des autres langues européennes, etc., les Français durent se forcer à adopter le ж(Ж), lettre prononcée « j » dans les langues régionales Serbe et Russe. Paradoxalement, énormément de mots Français intégrés à l’anglais ont nécessité des modifications pour éviter la confusion sur la prononciation de la lettre « j », comme avoir une impression de « deжa-vu » ou pour parler de musique ou de cinéma, aimer un « жenre ». Un autre mot d’origine française intégré au russe est utilisé en Européos avec l’orthographe russe du son « j » : Massaж.

L’introduction de nouvelles lettres prêtait à débat mais l’objectif était de rendre la langue aussi facile à apprendre que possible, en rapprochant le plus possible la prononciation de l’orthographe, et donc en limitant au maximum les confusions. L’Européos tente de donner à chaque son sa propre orthographe, autant que faire se peut, tout en ne changeant pas trop radicalement l’Anglais Référence déjà largement pratiqué en Europe. Il est toutefois à noter qu’il était largement approximativement pratiqué en Europe avant l’Européos, et les simplifications ont bien souvent été basées sur les erreurs courantes que les Européens utilisaient déjà comme des règles officieuses.

Intégrations de mots européens
Dans certains cas, des mots qui n’avaient jamais été convenablement traduits en anglais, ou trop approximativement, furent intégrés dans leur langue d’origine ( mais orthographiés selon les règles de l’Européos). Dans le domaine des couleurs, par exemple, le mot d’origine grecque galasios exprime ce que la plupart des langues traduisent simplement par un vague « bleu clair », et le mot sini d’origine russe exprime lui un bleu nuit (On dit par exemple que le sini est la couleur officielle du drapeau européen). Certaines transformations furent plus drastiques pour les raisons de simplification, par exemple le mot allemand Sehnsucht, exprimant à la fois la nostalgie et le mal du pays, est devenu Sænsurt. Le mot russe « Жal » signifiant « dommage », plus concis et laconique que « it’s a pity / It’s a shame », a également été rapidement intégré. « Aitsu !», du basque, est une façon guère polie d’attirer l’attention sur le fait qu’on a quelque chose à dire et que tout le monde serait bien avisé de se taire et d’écouter. Evidemment, ce genre d’invective a rapidement trouvé son succès !

Simplifications :

Invariables et Irréguliers
Le pluriel est toujours écrit et prononcé en Européos. La liste des mots invariables a été drastiquement réduite, et des mots comme monþ (ex month) ou fish se doivent désormais d’être écris et prononcés monþes et fishes. De même les pluriels irréguliers furent simplifiés comme mans, womans, childs…

Les verbes irréguliers ont également été simplifiés avec la conjugaison en « ed » et beaucoup de verbes courant comme buy, conjugué bought, sont désormais conjugués buied au passé. 

Les anciennes formes furent naturellement tolérées durant la première décade de l’introduction de l’Européos mais les professeurs eurent ensuite tendance à durcir les corrections après un rapport parlementaire insistant sur la lenteur présumée de cette introduction. De plus, de nombreuses listes de quotas furent créées sur le nombre de mots irréguliers ou invariables que devrait contenir l’Européos, et certains mots furent régulièrement retirés puis réintroduits au gré des protestations du corps enseignant. En 2033, certaines personnes âgées utilisent toujours les formes anglaises, la majorité de la population ayant pris le pli de cette nouvelle conjugaison ( Exception faite des Régions Anglaises et Irlandaises ).

Les chiffres
Poussant le principe de facilitation de l’apprentissage, certains chiffres ont été modifiés pour supprimer quelques exceptions à la logique générale. Ainsi, ten (10) devint-il onety sur le modèle de twenty (20), thirty (30), etc. Ainsi, 11 et 12 deviennent onety-one et onety-two, et de 13 à 19 les terminaisons en « een » sont supprimées au profit de la logique commençant à 20. Eighteen (18) devient par exemple onety-eight, évitant la confusion fréquente à l’oral avec eighty (80).

Fautes, eurodialectes, exceptions et Langues Régionales
Evidemment, beaucoup de fautes et d’erreurs sont propres à chaque Région en raison de l’ancrage centenaire des langues régionales, créant ce qui est officiellement classé comme des eurodialectes, c’est à dire des versions populaires de l’Européos. 

Il est également à noter que certaines exceptions subsistent, notamment dans les noms propres qui restent inaltérés pour la plupart. Certains prénoms possèdent désormais des orthographes différentes, selon que les parents choisissent d’intégrer les nouvelles lettres ou pas. Dans le domaine des noms, ce n’est pas obligatoire. D’autres exceptions ont pour origine des mots intégrés employant des sonorités exclues de l’Européos (comme les sons nasaux), mais en nombre insuffisant pour mériter une lettre spécifique.

Pour les noms de localités (villes, régions, pays, etc.) Les panneaux ou tout document officiel ou informatif, se doivent d’indiquer toujours leur orthographe en Européos d’abord, puis dans la langue régionale. Si la Région possédait plusieurs langues officielles avant la Fédération, c’est la langue majoritairement parlée qui l’emporte dans la représentation linguistique régionale dans la Constitution Européenne. Mais dans ce cas, les précédentes langues officielles non-retenues peuvent toujours être inscrites comme « Langues Régionales Officielles » dans les constitutions régionales, et les citoyens peuvent exiger de recevoir leurs documents administratifs en Européos doublé de n’importe quelle langue officielle selon les statuts régionaux. Toutefois, il leur est bien souvent demandé de répondre en Européos.

La langue comme interface sociale : Les pronoms personnels
Parmi les éléments ajoutés à l’Anglais Référence, on notera l’introduction de la possibilité de vouvoiement. Cependant, seul le pronom personnel « yœ » distingue le vouvoiement du tutoiement « you », la conjugaison restant identique comme l’est déjà celle du « he » et du « she » qui ne distinguent le masculin du féminin que par le pronom. Cette mesure fut introduite afin de pouvoir marquer sa politesse, sa déférence, sa distance, son respect, et fut particulièrement suivie dans l’Européos populaire, intensivement utilisée dans l’environnement scolaire, le monde du travail, etc. Il n’en fut pas de même pour la possibilité de ne pas distinguer le masculin du féminin en se contentant de distinguer les Hommes ( en utilisant « hæn » au singulier et « Þæn » au pluriel) et les objets ou animaux (en utilisant « it »), comme en Finnois ou Estonien. Cette possibilité devait permettre à terme de réduire les inégalités entre hommes et femmes dans le monde de l’emploi et la politique, et la législation européenne impose, par exemple, à tout règlement ou titre (en médecine, politique, enseignement, etc.) d’employer la formule asexuée. Pourtant, en dehors des écrivains, d’associations égalitaires et de quelques journalistes zélés, peu de citoyens européens emploient cette règle que beaucoup critiquent pour son approximation et sa dépendance au contexte, préférant le système il/elle, majoritairement employé dans les langues régionales, ce qui explique en partie sa popularité.

dimanche 31 juillet 2011

"Une Europe Fédérée"

Je suis un peu pressé par le temps et l'organisation de mon déménagement en Finlande, mais je continue dans ma lancée de mise en ligne de textes à mon sens importants. Après Hugo et Churchill, voici un extrait de discours de Jean Monnet du 30 avril 1952, titrée "Une Europe Fédérée". Je ne partirai pas dans une grande analyse de l'extrait qui es assez clair et assez court, cependant, je tenais à illustrer par un exemple concret les ambitions clairement et ouvertement fédéralistes des Pères de l'Europe. On notera également la forte connotation politique ET militaire qui semble aller de paire avec l'union économique qui se forme. Les allusions à une armée européenne et une fédération essentielle à la survie du Monde Libre ont certes une saveur Guerre Froide toute particulière, mais à l'heure où le terrorisme est une affaire de tous les États Européens, la Défense Européenne est aujourd'hui plus que jamais de mise, et même cet aspect qui sonne vieillot à nos oreilles n'en reste pas moins, de ce fait, d'une extrême actualité.
Notons également la volonté affichée de planifier la réunifaction allemande, à un moment où le sujet n'est pas forcément pour plaire aux Allemand de l'Est : Staline vient alors de proposer une réunification créant une Allemagne "neutre et indépendante" entre les blocs, une zone tampon dont le destin tout tracé est de rester une friche économique et sociale, avec les conséquences que l'on peut imaginer. Ce que Monnet ne sait pas encore, c'est que moins d'un mois après son discours, après que la Convention de Bonn ait libéré la RFA de l'occupation alliée ( France, USA, Grande Bretagne), la RDA ira jusqu'à renforcer ses frontières et créer un no-man's land de démarcation. Dix ans plus tard, faute de rapprochement, et la Guerre Froide prenant de l'ampleur, le Mur sera érigé, et il faudra attendre le début des années 90 pour que cet aspect du programme de Monnet ne se réalise.


Par ailleurs, je pense mettre en ligne très bientôt une partie d'un autre discours de Monnet, au titre plus qu'évocateur : "Les Etats Unis d'Europe ont commencé". Ainsi, Jean Monnet perpétue-t-il ce titre d'EUE auquel Victor Hugo avait si ardemment aspiré.






« Nous nous trouvons à un moment opportun pour parler de la création de l'Europe. Nous allons sortir de la période des projets, des négociations et des textes ; dans quelques semaines, les premières institutions de l'Europe unie deviendront une réalité vivante. À ce moment décisif, comme il est naturel, nous rencontrons des difficultés : Elles sont les douleurs de l'enfantement qui accompagnent la naissance des États-Unis d'Europe.


Parce que les Américains en sont conscients, ils n'ont cessé de soutenir et d'encourager nos efforts pour réaliser l'unité de l'Europe. Je crois que c'est la première fois dans l'Histoire qu'un pays parvenu au degré de prépondérance qu'ont atteint les États-Unis apporte un soutien actif et essentiel à l'effort que font d'autres peuples pour se rassembler dans une communauté vigoureuse et libre.


Il est d'une importance universelle que l'Europe puisse vivre par ses propres moyens et dans la sécurité, qu'elle soit pacifique et en mesure de continuer à apporter sa grande contribution à la civilisation. Le chemin qui mène à tous ses objectifs passe par l'unification.


Une Europe fédérée est indispensable à la sécurité et à la paix du monde libre. Aussi longtemps que l'Europe restera morcelée, elle restera faible, et sera une source constante de conflits. À l'époque moderne, les conflits se généralisent inévitablement à l'ensemble du monde.


L'unification permettra à l'Europe d'intensifier le développement de ses ressources. Elle pourra ainsi, le moment venu, faire face aux besoins de ses habitants et prendre sa part dans les charges de la défense commune, sans avoir à vous demander de maintenir votre contribution.


L'unification de l'Europe a, pour la civilisation, une portée qui dépasse même la sécurité et la paix. L'Europe est à l'origine des progrès dont nous bénéficions tous et les Européens sont aujourd'hui capables d'apporter au développement de la civilisation, par leur esprit créateur, une contribution aussi grande que dans le passé. Mais pour permettre à cet esprit créateur de s'épanouir à nouveau, nous devons harmoniser nos institutions et notre économie avec l'époque moderne. C'est en unifiant l'Europe que nous y parviendrons. [...]


En même temps que nous poursuivrons ensemble notre action pour l'unification de l'Europe, nous continuerons notre effort pour réunir pacifiquement les Allemands de la République fédérale et ceux de l'Est. Il est essentiel d'effacer les frontières entre les nations européennes. [...]


L'unité qui satisfera les aspirations légitimes des Allemands sans les exposer, ainsi que le reste du monde, au recommencement d'un passé funeste, l'unité qui facilitera l'établissement d'une paix durable est l'unité au sein d'une Europe unie. [...]


Six pays européens ne se sont pas engagés dans la grande entreprise d'abattre les barrières qui les divisent pour dresser des barrières plus élevées contre le monde extérieur. Notre époque exige que nous unissions les Européens et que nous ne les maintenions pas séparés. Nous ne coalisons pas les États, nous unissons des hommes.


Rien n'est plus stérile que d'anticiper, dans le contexte du présent, des questions qui se poseront seulement dans l'avenir, alors que l'objet même de notre action est de transformer le contexte actuel. Si nous attendons, pour agir, que toutes les questions aient trouvé leur réponse, nous n'agirons jamais, nous n'atteindrons jamais la certitude attendue et nous serons entraînés par les événements que nous aurons renoncé à orienter.


Nous sommes résolus à agir. Nous sommes résolus à faire l'unité de l'Europe et à la faire rapidement. Avec le plan Schuman et avec l'armée européenne, nous avons posé les fondations sur lesquelles nous pourrons construire les États-Unis d'Europe, libres, vigoureux, pacifiques et prospères.»